Quand l'anodin devient une information

Un premier sénateur noir pour l’État de la Géorgie

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Le symbole est puissant : pour la première fois de son histoire, la Géorgie a élu au Sénat un Afro-Américain, Raphael Warnok, pour représenter cet ancien État confédéré.

Pour la première fois de son histoire, la Géorgie a élu au Sénat un Afro-Américain, Raphael Warnok, pour représenter l’ancien État confédéré.© Jim Watson Archives Agence France-Presse Pour la première fois de son histoire, la Géorgie a élu au Sénat un Afro-Américain, Raphael Warnok, pour représenter l’ancien État confédéré.

Un retournement de l’histoire que le pasteur n’a pas manqué de souligner peu après sa victoire, confirmée dans la nuit de mardi à mercredi : « Parce que ceci est les États-Unis, les mains âgées [de ma mère] de 82 ans qui ramassaient le coton d’un producteur ont pu se rendre aux urnes pour choisir son plus jeune fils pour devenir un sénateur américain. »

Aux États-Unis, « tout est possible, et c’est pourquoi j’aime tant ce pays », a ajouté l’homme de 51 ans mercredi matin sur les ondes de CNN.

Celui qui a été choisi il y a 14 ans pour devenir pasteur à l’église baptiste Ebenezer, où officiait Martin Luther King Jr., a d’ailleurs annoncé qu’il souhaitait continuer à prêcher tous les dimanches pour maintenir ce contact intime avec le peuple américain.

Selon les derniers résultats disponibles, après le dépouillement de 98 % des votes, Raphael Warnok a remporté 50,6 % des voix. Son opposante, la sénatrice républicaine sortante Kelly Loeffler, a pour sa part mis la main sur 49,4 % des suffrages. Dans la deuxième course sénatoriale en Géorgie, le démocrate Jon Ossoff menait en début d’après-midi avec 50,2 % des voix, alors que le sénateur actuel, David Perdue, le suivait de près avec 49,8 % des suffrages.

Bien qu’aucun grand média n’ait encore confirmé sa victoire, le jeune démocrate de 33 ans a diffusé en début de journée mercredi une déclaration virtuelle dans laquelle il mentionne que « c’est avec humilité qu[’il] remercie le peuple de la Géorgie de [l]’avoir élu pour le servir au Sénat américain ».

Dans un communiqué diffusé mercredi, le président désigné des États-Unis, Joe Biden, s’est aussi dit convaincu de la victoire prochaine des deux candidats démocrates. « [Les électeurs de la Géorgie] veulent de l’action face aux crises que nous traversons. Sur la COVID-19, sur le soutien économique, sur le climat, sur la justice raciale, sur le droit de vote et sur tant d’autres sujets. Ils veulent que nous avancions, mais que nous avancions ensemble », a-t-il déclaré.

Dépouillement

Dans un immense hangar bétonné au sous-sol du Georgia World Congress Centre, des dizaines d’employés électoraux s’affairaient toujours à ouvrir les enveloppes, mercredi midi, puis à acheminer les bulletins dans de grands bacs blancs de l’United States Postal Service vers des scanneurs. Une fois compilés, les résultats sont ensuite envoyés par voie électronique aux instances électorales, explique sur place Regina Waller, responsable des communications pour le département des élections du comté de Fulton. « Le tout doit être terminé à 15 h cet après-midi. »

Pour cette chaude lutte en Géorgie — qui permettra de déterminer qui, des démocrates ou des républicains, contrôlera le Sénat — plus d’un million d’électeurs ont voté par la poste et plus de deux millions ont voté par anticipation.

Mardi soir, le président Trump — continuant d’affirmer que l’élection présidentielle lui a été volée et que le processus électoral est frauduleux — y est allé d’une nouvelle déclaration incendiaire sur le processus électoral en Géorgie : « On dirait qu’ils sont en train de mettre en place une grande “décharge électorale” contre les candidats républicains. En attendant de voir de combien de votes ils ont besoin ? » a-t-il écrit sur Twitter.

Double camouflet

Cette rhétorique, répétée à n’en plus finir par le président sortant depuis sa défaite du 3 novembre, pourrait d’ailleurs avoir découragé des électeurs républicains à se rendre aux urnes pour le deuxième tour des élections sénatoriales, croient plusieurs observateurs. Dans ce qui était probablement le dernier grand rallye de sa présidence, Donald Trump avait néanmoins imploré ses partisans, rassemblés lundi soir à l’aéroport régional de Dalton, dans le nord-ouest de la Géorgie, d’aller voter pour bloquer l’élection des deux candidats démocrates, dépeints comme des « extrémistes radicaux de gauche ».

Mais le vent semble avoir bel et bien tourné en Géorgie, un État traditionnellement républicain qui a créé la surprise en novembre en élisant Joe Biden à la présidence par une mince avance de 12 000 voix (0,2 % du suffrage). Les efforts de la communauté noire pour faire inscrire ses membres sur les listes électorales — des efforts menés notamment par Stacey Abrams, ex-candidate démocrate au poste de gouverneur de la Géorgie, et par les mouvements New Georgia Project et Fair Fight — pourraient avoir joué un rôle névralgique dans l’issue du vote.

Depuis l’élection de novembre, la Géorgie se trouve au cœur des attaques de Donald Trump contre l’intégrité du processus électoral. Lundi soir, face à la foule conquise d’avance qui scandait « Fight for Trump » sous d’immenses drapeaux américains accrochés à des grues, le président sortant avait d’ailleurs promis de revenir en Géorgie « dans un an et demi pour faire campagne contre [le] gouverneur et [le] secrétaire d’État », tous deux des républicains, mais qui ont refusé de renverser les résultats de la présidentielle à sa faveur. Le président s’était également dit amèrement déçu de la Cour suprême, instance à laquelle il a nommé trois juges conservateurs, mais qui n’est pas intervenue pour bloquer l’élection de Joe Biden. « La Cour suprême nous a abandonnés », a-t-il dit.

La possible double victoire démocrate en Géorgie — qui pourrait être confirmée dans la journée de mercredi — survient le jour même où le Congrès se réunit à Washington pour certifier la victoire de Joe Biden, un double camouflet pour Donald Trump.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat–Le Devoir.

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