Quand l'anodin devient une information

Publicité : CNews et « Valeurs actuelles » déposent plainte contre le collectif Sleeping Giants

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Les actions du groupe, qui alerte les annonceurs dont les spots publicitaires sont diffusés sur des médias susceptibles de véhiculer des contenus haineux, amoindrissent leurs revenus publicitaires.

Au téléphone, « Rachel » ne semble pas spécialement affolée. Cette activiste anonyme de Sleeping Giants, le « collectif citoyen de lutte contre le financement du discours de haine » a appris à la lecture de Valeurs actuelles que le magazine et la chaîne de télévision CNews annonçaient déposer plainte contre l’organisation. « Nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer quoi que ce soit puisque nous n’avons rien reçu », explique-t-elle depuis son jardin.

L’hebdomadaire réactionnaire du groupe Valmonde et la chaîne conservatrice du groupe Canal+ confirment ces plaintes. « L’heure de la riposte a sonné », revendique même Valeurs actuelles dans un message publié en ligne le 9 juin, déterminé à faire cesser les actions du collectif né aux Etats-Unis après la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle, et actif en France depuis 2017.

Vigilance

En interpellant les annonceurs dont les publicités sont diffusées sur CNews ou publiées sur le site du magazine, les Sleeping Giants les amènent bien souvent à les retirer ; ce faisant, ils privent ces médias des ressources qui les font vivre. « Nous ne faisons qu’alerter ces marques qui, en achetant de la publicité programmatique, ignorent le plus souvent où leurs annonces sont diffusées, rappelle Rachel. Nous ne les interpellons jamais deux fois. Si elles ne réagissent pas, ou choisissent de rester, nous n’allons pas plus loin. »CNews mise en demeure par le CSA pour manquement à ses obligations en matière de pluralisme politique

Parmi les médias choisis par le collectif pour exercer sa vigilance figurent Paris Première qui, comme CNews, accorde à l’éditorialiste du Figaro les faveurs de son antenne au sein de l’émission hebdomadaire « Zemmour & Naulleau », mais aussi le site devenu complotiste FranceSoir. Le site d’extrême-droite Boulevard Voltaire, condamné pour provocation à la haine contre les musulmans en 2014 et le site breton nationaliste Breiz Atao, dont le fondateur Boris Le Lay a été condamné plusieurs fois pour provocation à la haine raciale, ont également été, par le passé, dans le viseur des Sleeping Giants.

« Ces procès baillons sont d’abord faits pour nous intimider » Rachel, activiste de Sleeping Giants

La plainte de Valmonde et Cie, la société à laquelle Valeurs actuelles appartient, a été déposée le 4 juin, et vise à dénoncer « des faits de discrimination, à raison des opinions politiques, et de nature à entraver l’exercice normal d’une activité économique ». « Ils nous font perdre beaucoup d’argent », reconnaît Tugdual Denis, directeur adjoint de la rédaction. Au début de l’année, l’entreprise de publicité en ligne Taboola, qui alimentait le site de l’hebdomadaire en réclames diverses, a en effet rompu son contrat avec le magazine, à la suite de la publication du feuilleton dessiné donnant à voir la députée Danièle Obono représentée en esclave.

Valeurs actuelles a eu beau faire appel à la justice pour dénoncer cette décision le privant d’un revenu de « trois millions d’euros sur trois ans », celle-ci a donné raison en appel à Taboola, et Valeurs s’est tourné vers une autre régie, MKD Production, « au RPM (revenu pour mille vues) moins bon », regrette M. Denis. Dans sa forme imprimée, Valeurs actuelles n’accueille que très peu de publicités, « les annonceurs ne se précipitant pas ». Le magazine, dont la diffusion France payée s’est élevée en 2020, à 108 239 exemplaires (selon les données de l’organisme certificateur du marché, l’ACPM) a été bénéficiaire à hauteur d’un peu plus d’un million d’euros en 2020.Une sanction financière inédite contre CNews pour des propos d’Eric Zemmour sur les migrants

Selon Valeurs actuelles, CNews pourrait, de son côté, déposer trois plaintes : deux pour diffamation, et une pour discrimination et entrave à la liberté d’expression. La chaîne d’information confirme l’existence d’une seule plainte, après qu’elle aurait, elle aussi, perdu de nombreux annonceurs à la suite des alertes des Sleeping Giants. La saison 2020-2021 aura effectivement été chiche en spots publicitaires accompagnant « Face à l’info », l’émission dans laquelle officie M. Zemmour, assure Rachel. Tantôt la chaîne n’en a diffusé aucun, tantôt quelques spots « de petits annonceurs qui ne paient pas cher du tout les écrans mais servent de chair à canon ». Les plaintes de CNews et Valeurs actuelles ont-elles des chances d’aboutir ? « Ces procès baillons sont d’abord faits pour nous intimider », commente l’activiste. Mais pour atteindre les bénévoles du collectif, souligne-t-elle, « il faudrait d’abord qu’on nous identifie ».

LeMonde.fr

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