Quand l'anodin devient une information

Les propositions de Réckya Madougou pour la promotion des femmes en politique (Tribune)

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TRIBUNE : MA CONTRIBUTION ET MES PROPOSITIONS POUR LES DROITS DES FEMMES BÉNINOISES

Le 8 mars 1910, à Copenhague, l’Internationale socialiste des femmes crée lors d’un congrès, la journée internationale des femmes. L’ONU l’officialisera près de sept décennies plus tard, en 1977.

Nous célébrons donc en ce jour les droits des femmes, une occasion de rendre hommage aux luttes passées et présentes pour l’égalité entre les genres.

S’orienter plutôt vers une journée de revendications

J’ai souvent pensé que le 8 mars ne devrait pas constituer une journée de festivités. Mais plutôt nous renvoyer, à travers un miroir honnête, le reflet non édulcoré du fossé qui nous sépare de l’atteinte des objectifs genre ciblés en matière de droits de la femme. Les célébrations fastueuses à l’excès maquillent malheureusement ce devoir de vérité que nous devons à nous-mêmes femmes et à la société toute entière.

Il est donc impérieux de conférer un sens revendicatif à cette journée, en marge de la politique, et surtout en veillant à ce que lesdites revendications ne se limitent à une journée calendaire. Au demeurant, nous sommes engagés dans une lutte de tous les jours. Comme l’a souligné Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive de ONU Femmes : “Nous ne célébrons pas simplement une journée, nous faisons campagne pour une vie entière. “C’est cela le sens même de mon propre engagement depuis plus de deux décennies. Démontrer que les femmes, quelles que soient leurs conditions de vie, sont valables et éligibles dans les organes de prise de décision économiques, politiques, sociaux et culturels.

Le 8 mars à coup sûr n’est en définitive pas la fête de la femme; il ne saurait d’ailleurs être question de fête lorsque le chemin restant à parcourir est si parsemé d’embûches.

Des impacts socio-économiques de l’égalité genre

L’égalité des genres et les droits des femmes sont non seulement fondamentaux pour le développement inclusif et durable, la paix, la sécurité et les droits humains, mais ils sont également judicieux d’un point de vue économique.

Selon la Banque mondiale, si les femmes participaient pleinement à l’économie, cela pourrait ajouter 12 000 milliards de dollars à la croissance économique mondiale d’ici 2025. De plus, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de réinvestir leurs revenus dans leur famille et leur communauté. D’après ONU Femmes, par exemple, pour chaque dollar gagné par une femme, 90 centimes (donc 90%) sont réinvestis dans l’éducation, la santé et la nourriture pour sa famille, contre 30 à 40 centimes (30 à 40% pour les hommes). Pour le traduire en CFA, disons que sur 1.000F CFA gagnés par une femme, 900F CFA sont alloués aux domaines clé de l’épanouissement de sa famille cités supra. Contre 300 à 400F CFA pour un homme. Ces chiffres soulignent à souhait l’importance de l’inclusion économique des femmes pour le développement économique et social, ainsi que la nécessité de lutter contre les inégalités économiques entre les sexes.

Quelques expériences personnelles

À l’aune de mes propres expériences conduites dans différents pays, l’autonomisation des femmes à travers des mécanismes structurants est l’outil de développement le plus efficace. Le regretté Kofi Annan l’a exposé ainsi: “Aucune autre politique n’est aussi susceptible d’accroître la productivité économique ou réduire la mortalité infantile et maternelle. Aucune autre politique ne réussit aussi mieux à améliorer les chances d’éducation de la prochaine génération.” Il est donc essentiel de continuer à agir au quotidien pour défendre les droits des femmes, leur faciliter l’accès aux opportunités économiques et aux postes-clés de décision, dénoncer l’impunité dont profitent leurs bourreaux et sensibiliser les opinions publiques.

Au-delà de l’inclusion économique des femmes, des dizaines de milliers de filles sont encore privées de leurs droits chaque jour, subissant des mutilations génitales, des mariages forcés et d’autres obstacles. Nous ne devons pas céder un pouce du terrain conquis depuis des décennies sur ces fléaux.

De même, la participation politique des femmes est un enjeu déterminant pour un développement qualitatif dans le monde entier. En Afrique notamment, bien que des progrès aient été accomplis ces dernières années, les femmes restent sous-représentées en politique.

Dans un registre anecdotique, courant 2010, alors que j’étais au gouvernement, j’ai le souvenir d’avoir initié avec le soutien du président Boni Yayi, un projet de loi portant promotion de l’accès des femmes aux fonctions électives et nominatives, qui devrait accroître de façon substantielle la participation des femmes aux organes de décision. Finalement certains de nos députés avaient jugé bon de porter l’initiative par eux-mêmes. Dès lors, une proposition de loi avait été introduite dans ce sens, avec une fortune bien drôle. Au sein de la commission des lois dont j’avais participé aux débats pour soutenir une telle proposition salutaire, une levée de bouclier des parlementaires masculins de tous les bords politiques a fini de me convaincre grandeur nature que le combat de la parité est une course de fond, d’endurance. Le ridicule de l’histoire en était que même certains députés porteurs de l’initiative en faisaient des développements rédhibitoires ce jour-là.

Les avantages d’une participation conséquente des femmes sont nombreux, notamment une plus grande prise en compte des droits, des priorités, des besoins et des intérêts des femmes.

Des cas d’espérance

Selon certaines études, une prise en compte de l’approche genre mène également à une plus grande réactivité face aux besoins des citoyens, une coopération accrue entre partis politiques et une paix plus durable. «Lorsque les femmes participent pleinement à la vie politique, économique et sociale de leur pays, elles peuvent apporter une contribution unique et précieuse à la création d’un monde plus juste et plus égalitaire» avait notamment affirmé Hillary Clinton, ancienne secrétaire d’Etat américaine. Allégation d’ailleurs corroborée par une étude de l’Organisation des Nations unies (ONU) réalisée en 2015, qui montre que les pays ayant les taux de participation des femmes les plus élevés dans la politique ont également les meilleurs scores en matière de développement humain.

Par exemple, au Rwanda, après avoir conquis 56% des sièges au parlement en 2008, les femmes ont formé le premier groupe parlementaire interpartis pour travailler sur des questions controversées telles que le droit foncier et la sécurité alimentaire. Elles ont également formé un partenariat tripartite pour coordonner des mesures législatives réceptives et assurer que les services de base soient fournis.

Les femmes élues sont plus susceptibles de transcender les appartenances politiques sur des questions de droits humains, même dans des environnements hautement partisans. Notre pays gagnerait beaucoup à promouvoir des unions sacrées de politiques, notamment des femmes politiques, au-delà des chapelles politiques, sur des questions de droits fondamentaux, pour un environnement politique plus harmonieux et productif. Christine Lagarde l’a fait remarquer en ces termes, « Les femmes ne cherchent pas le pouvoir pour le pouvoir, mais pour être en mesure de changer les choses.».

La mère que je suis a particulièrement apprécié un exemple au Koweït. Cinq ans seulement après que le mouvement pour le suffrage des femmes ait acquis les droits pour les femmes de voter et de se présenter aux élections, les femmes parlementaires nouvellement élues se sont coalisées pour introduire des amendements au code du travail qui garantira des pauses d’allaitement obligatoires aux mères qui travaillent et fournira des services de garderie sur le lieu de travail pour les entreprises ayant plus de 200 employés.

Quid du Bénin?

Au Bénin également, il y a eu progrès avec le taux de femmes sorti des urnes aux dernières législatives de 2023…Progrès Certes !

Mais avant tout, j’avoue que j’ai le cœur serré en m’efforçant d’évoquer pour les besoins de l’analyse, ce progrès obtenu aux forceps par une réforme mise en place par la 8ème législature à la suite d’une élection chaotique sans précédent dans l’histoire politique de notre pays depuis l’historique conférence nationale des forces vives de 1990 . Élection ayant engendré, après l’exclusion et les protestations de l’opposition, des pertes en vies humaines dans diverses localités du pays: Cadjehoun, Savè, Kilobo, Parakou, etc. Je m’incline humblement devant la mémoire de toutes celles et tous ceux qui ont été emportés par cette crise électorale et je prie que le Seigneur leur accorde un repos éternel tout en pardonnant à leurs bourreaux comme le recommande notre Créateur.

Toutefois, une question me turlupine: a-t-on besoin, pour obtenir une réforme, quelle que puisse être son importance pour la société, de pousser l’intolérance jusqu’à ôter la vie des citoyens dans un État démocratique ?

Je pense personnellement que rien et absolument rien au monde ne vaut plus que la vie humaine. La vie de nos semblables est aussi chère que la nôtre.

Après cette parenthèse utile, revenons à notre analyse du cas du Bénin.

Au Bénin également il y a eu quelque avancée avais-je indiqué plus haut. Le taux de femmes élues pour la 9ème législature (2023-2026) est de 25,69 %, contre 7,23 % pour la 8ème législature (2019-2023). Selon les statistiques, depuis l’avènement de la démocratie au Bénin, le taux de représentativité des femmes au parlement n’a jamais atteint les 10%. De 1991 à 2019, les taux ont été respectivement de 4,69%, 7,32%, 6,02%, 7,23%, 7,23%, 9,63%, 8,43%, et 7,23%. Il y a donc effectivement eu progrès à ce niveau à mettre à l’actif de l’exécutif actuel.

Cependant des efforts considérables méritent d’être encore entrepris. En dehors des 336 candidates aux 24 sièges réservés pour les femmes aux législatives 2023 grâce à une réforme du code électoral, seules 91 femmes ont été positionnées sur l’ensemble des 1190 candidatures pour les sièges réguliers. Soit 15,3% de candidates sur les listes soumises à la CENA. C’est bien trop peu. Il s’agira donc à l’avenir d’éviter de cantonner la promotion des femmes députés, à ces 24 sièges d’office puisque, résultats des courses, seulement 6 femmes ont été déclarées élues sur 109 parlementaires, en plus des 24 sièges à elles réservés. Une telle réforme ne devrait donc aboutir à exonérer les partis politiques de leur responsabilité dans les positionnements (gagnants) des femmes sur les listes électorales.

De même cette réforme du code électoral obligeant les partis à positionner au moins une femme par circonscription électorale dans le cadre de la députation est partielle en ce qu’elle reste étonnamment muette au niveau de la décentralisation et du sommet de l’Etat. En effet, elle n’a pas apprehendé la vieille pratique du pouvoir décentralisé. Sur les 77 Maires, seulement 4 sont des femmes (5,19%). Pas plus qu’aucune femme n’a accédé à la tête d’une commune à statut particulier (à l’instar d’une certaine Anne Hidalgo, maire de la capitale française, Paris, depuis 2014).

Il en est ainsi également de la plus haute marche de l’État. La loi ne fait pas obligation aux partis politiques, dans le cadre de l’élection présidentielle, de proposer un ticket équilibré en genre.

À l’échelle du gouvernement actuellement, sur les 12 préfets, seule une femme répond à l’appel (8,33%). De même on dénombre 5 femmes sur 23 ministres, soit 21,73%. Sous Boni yayi, le quota de 30% de femmes au gouvernement a même été atteint. Une progression là aussi est possible jusqu’à la parité.

Au regard de tous ces défis, beaucoup reste à faire dans notre pays, au-delà des bonnes intentions affichées, afin d’obtenir des effets tangibles, à savoir garantir l’égalité des chances pour les femmes devant la loi et une meilleure participation aux échéances électorales.

Mes propositions au chef de l’Etat

C’est pourquoi, je suggère, au chef de l’Etat, l’organisation d’un atelier technique (non politisé, non partisan) en vue d’une évaluation d’étape de la mise en œuvre de la réforme du code électoral relative à l’amélioration de la participation des femmes aux législatives. La séance de restitution des conclusions dudit atelier serait quant à elle élargie à des politiques aussi bien de la mouvance que de l’opposition. Les recommandations utiles qui en émaneront permettront d’évoluer vers des orientations stratégiques plus pertinentes et des politiques publiques plus exhaustive et donc plus fructueuses en matière de genre et développement.

Mieux, je me propose, depuis mon lieu de détention arbitraire, de rédiger bénévolement pour notre pays, les termes de référence techniques relativement aux travaux préparatoires et à l’organisation de cet atelier d’experts.

Les recommandations de cet atelier, pourraient aussi inspirer une réforme judicieuse ciblant l’accroissement significatif de la représentativité des femmes aux élections communales et locales ainsi que présidentielles.

Le Président de la République, sur la même lancée, pourrait nommer au moins 30% à 50% de préfètes et de femmes ministres dans son prochain gouvernement, assorti d’une signature de contrats de performances pour toute l’équipe. Ce qui permettra d’évaluer à terme, l’apport d’une telle politique dans la machine gouvernementale. L’exercice mériterait d’être étendu au décret portant attributions, organisation et fonctionnement des ministères aux fins d’insister auprès des ministres pour des proportions de nomination de cadres féminins.

Par ailleurs, des mesures concrètes peuvent être prises pour encourager la participation politique des femmes, notamment en mettant en place à la fois une parité horizontale et verticale sur les listes électorales. La parité horizontale implique que toutes les listes électorales devront comporter un nombre égal de femmes et d’hommes et la parité verticale promeut, quant à elle, une alternance entre hommes et femmes sur la liste.

En outre, les environnements politiques doivent être exempts de discrimination et de violences basées sur le genre, car ces actes d’agression sexiste ont des répercussions au-delà de la cible initiale, effrayant les femmes déjà actives politiquement et décourageant celles qui envisagent de s’engager.

Il s’avère également indispensable de garantir la reconnaissance des femmes occupant des postes décisionnels comme étant un droit humain, ainsi que de faire progresser leurs droits à occuper des fonctions de leadership. Les médias ont un rôle catalyseur à y jouer en soulignant les contributions positives des femmes en politique et en évitant de perpétuer les stéréotypes de genre négatifs (matchisme, misogynie, phallocratie, complexes divers etc).

Efforçons-nous d’impacter

Pour finir, je félicite toutes les femmes élues au titre de la 9ème législature. Je ne reviendrai pas sur l’absence de transparence et d’équité subi par le parti Les Démocrates lors du processus électoral. Mesdames, chères honnorables, votre voix est importante pour la construction d’une société plus équitable et inclusive. Vous pouvez contribuer à la consolidation de la paix, à la promotion de l’égalité des genres et à la réalisation de progrès significatifs dans les domaines de l’éducation, de la santé et des infrastructures de développement.

Évertuez-vous à marquer votre passage à l’Assemblée nationale et à faire entendre votre voix, loin du brouhaha des calculs politiciens. Vous contribuerez ce faisant à transformer une roue/route secondaire en boulevard et autoroute pour la gente féminine à l’occasion des prochaines législatives. L’impact ne tarderait pas à se faire ressentir sous forme d’effet d’entraînement dans bien d’autres secteurs.

Chères héroïnes, où que nous nous trouvions, nonobstant les inévitables tribulations, osons lutter, innovons, inspirons, impactons dans la résilience.

#LesHeroinesImpactent

Reckya Madougou

8 mars 2023

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