Joël Aïvo écrit au garde des sceaux. Dans une longue lettre adressée à Séverin Quenum, la semaine dernière, le Constitutionnaliste dénonce ses conditions de détention et l’accuse “personnellement de faire de la violation des droits de l’Homme », des adversaires politiques du régime, l’une « des finalités non dissimulées » de sa politique”. Le professeur conclut sa lettre par deux précieux conseils.
La dernière visite manquée des députés de l’opposition semble être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase du ras-le-bol de l’initiateur du Dialogue Itinérant, recalé à l’élection présidentielle de 2021 pour défaut de parrainage. Dans une longue lettre, Joël Aïvo n’a pas retenu ses coups au moment de pointer le caractère vicieux de l’action du ministère de la justice à l’encontre des adversaires du régime. Sévérin Quenum, qu’il accuse « personnellement de faire de la violation des droits de l’Homme », précisément des « adversaires politiques » du régime de la Rupture, « l’une des finalités non dissimulées » de la « politique » gouvernementale.
Une détention inhumaine
Revenant sur les détails du refoulement des députés de l’opposition aux portes de la prison, le professeur Aïvo a balayé tous les arguments avancés pour le justifier. Pour lui, les mesures barrières levées depuis avril 2022 par le gouvernement ne sauraient justifier cette interdiction, pas plus que le décret de 1973 abondamment utilisée par la communication gouvernementale pour expliquer le refoulement des élus aux portes de la prison civile de Cotonou. Ce décret, rappelle le professeur, avait été pris par un régime militaire, qui jetait en prison tous ses dissidents. Joël Aïvo est longuement revenu sur ses conditions de détention jugées inhumaines et dégradantes qu’il a plusieurs fois signalées à la chancellerie, sans suite. Le professeur Aïvo se plaint de “recevoir son épouse et ses enfants debout, accroché à une barrière métallique à l’entrée de la prison en violation des engagements internationaux du Bénin”. Il dit également avoir été détenu dans les toilettes publiques et empêché à maintes reprises de voir ses étudiants en master et en doctorat : « je voulais tout faire pour que ma détention, si arbitraire soit-elle, ne soit pas une entrave à leur carrière et que leur avenir ne soit pas hypothéqué par la situation que vous avez décidé de m’imposer », déplore-t-il face à l’intransigeance du ministère de la justice devant les besoins de ces étudiants.
Ses conseils au ministre
S’inspirant de l’histoire politique du Bénin marquée par une longue série de law fair, le constitutionnaliste s’est permis de prodiguer deux conseils au ministre. Le premier, c’est “d’éviter d’ériger des règles inhumaines pour vos concitoyens. Évitez d’installer à la place de l’État de droit, un État de terreur, parce que vous y avez jeté quelques-uns de vos opposants”.
Le deuxième conseil, c’est de se souvenir comme l’a dit l’ancien ministre français Michel Debré à son fils Jean-Louis, “qu’on est plus souvent ancien ministre que ministre”. Une façon très pédagogique de dire au garde des sceaux et indirectement à toutes les personnes qu’il accuse de contribuer à son malheur, qu’ils cesseront sans doute un jour de bénéficier de l’immunité que leur confère aujourd’hui leur statut et qu’ils pourrait se retrouver à sa place un jour si par malheur les plus radicaux de leurs adversaires décidaient “de se saisir à leur tour de l’épée de la vengeance politique”.
Arrêté le 15 avril 2021 au lendemain de l’élection présidentielle à laquelle il n’a pas pu participer parce qu’il lui manquait les parrainages, le professeur Frédéric Joël Aïvo a été condamné le 6 décembre de la même année à 10 ans de prison ferme pour complot contre la sûreté de l’Etat. Des accusations qu’il a toujours vivement rejetées. Deux ans plus tôt, il avait lancé un vaste mouvement baptisé le dialogue itinérant pour proposer aux populations une alternative au projet politique du président Patrice Talon.
S.E