Le devoir de sincérité : quand l’honnêteté est une vertu en déclin en Afrique (Tribune)
Première séquence : les outils exploratoires de l’honnêteté
Quelques hypothèses sont utiles pour explorer les dimensions et les caractéristiques de l’honnêteté et de la malhonnêteté dans l’espace africain qui est le nôtre.
L’honnête homme est simple à l’intérieur et sans masque à l’extérieur. Cette hypothèse est-elle tangible ?
L’honnête homme n’est jamais un suiveur opportuniste mais un compagnon du sage ou qu’il est lui-même ce sage en termes de leadership.
L’honnête homme s’oppose à l’injustice sous toutes ses formes. Et quand son opportunisme l’amène à être du côté de l’abuseur, il faut être un inepte pour croire encore à son honnêteté qui n’est qu’une sincérité de façade.
Tout secret est comme une denrée périssable qui finit par avoir une puanteur insupportable d’où les fuites de ce gaz abominable. Il faut être suffisamment honnête pour porter la couronne de la sincérité.
- Tant que les gens ne savent rien ou pas assez sur vos secrets personnels, vos secrets de famille, vos secrets professionnels et vos secrets d’allégeance politique, vous êtes l’honnête homme dont les malhonnêtes ont besoin pour s’améliorer.
Mais alors, le vrai secret de l’honnêteté c’est le désintéressement et l’éthique qui restent les meilleures armes pour refuser et s’éloigner de la corruption.
Bien évidemment, ce serait ingénu de croire que la corruption est la seule valeur de référence de l’honnête homme dans cette Afrique des secrets, des complots, des vérités dissimulées, des crimes blanchis en toute impunité et des compromissions sous garantie d’actes gratifiants.
Il s’ensuit que s’autoproclamer honnête requière le recours à des méthodes et outils pour prouver qu’on incarne incontestablement cette valeur de noblesse et non son contraire : le piège des antivaleurs.
-Nous allons nous appuyer sur un référentiel en sept points de contrôle de qualité comportementale tout au long de ce dialogue sur le devoir d’honnêteté et le risque systémique de la malhonnêteté.
a) la caractérisation de l’honnêteté par la typologie des baisers pour vérifier le poids de l’hypocrisie;
b) le système de régulation sociale par l’éthique appliquée aux permissions, restrictions et interdictions ;
c) l’observation empirique de l’addiction aux abus car quiconque aime les abus de pouvoir ou les cautionne voire développe une argumentation pour les blanchir est le pire des malhonnêtes. Celui-là peut vous ôter la vie ou être un complice des escalades d’un meurtrier avec une banalisation de la méchanceté pour préserver les avantages de sa posture ;
d) une analyse comparative au triangle de Karpman de la personne qui se dit honnête car être complice d’un persécuteur est une attitude courante. Hitler le dictateur sanguinaire a eu des collaborateurs zélés ;
e) la sensibilité au syndrome de Capharnaüm : on adore plus les choses plutôt que les hommes. Alors, il faut accumuler par des moyens pudiques et impudiques, légaux et illégaux ;
f) la sensibilité à développer des actions de plaidoyer pour le pardon en vue du vivre-ensemble ;
g) la capacité à démissionner pour s’opposer à toute compromission.
- « Qui oserait prétendre au monopole de la vérité et s’estimerait ensuite apte à l’exprimer ? » se questionnait Luisi Pirandello pour spécifier que chacun a sa vérité d’où il n’existe pas un discours uniforme sur les déterminants de l’honnêteté et alors, chacun choisit les critères qui l’arrangent au mépris des prismes par lesquels les autres appréhendent ses masques.
En parlant de la sincérité dans l’ouvrage en noms collectifs édité en 1995 sous le titre « Des hommes et des valeurs » préfacé par Federico MAYOR, directeur général de l’UNESCO, l’ancien premier ministre français Raymond BARRE s’est penché sur l’importance de la sincérité dont la substance se traduit par 12 caractéristiques que nous résumons comme ci-après :
- Ne jamais perdre de vue qu’une bonne décision nécessite une préparation avant sa mise en orbite car ce sont les conséquences de chaque décision qui détermine la valeur de la responsabilité ;
- Savoir que la constance dans ses convictions connaît ses limites et la meilleure des actions tournera court à partir du moment où elle n’est pas clairement expliquée ;
*3. Contre vents et marrées, il faut faire face aux chocs en s’attaquant aux risques qui fragilisent la stabilité économique et la cohésion sociale ;
*4. Admettre que la fidélité aux convictions n’empêche pas que dans certaines circonstances, un changement de point de vue soit parfaitement fondé.
- Quand on prend une décision en étant braqué soi-même, on braque davantage les personnes sur qui s’appliquent ces décisions. Et c’est honnête de vivre des réactions radicales de leur part.
- Mettre en œuvre sans complaisance un plan d’urgence correctif quand c’est nécessaire pour solutionner les problèmes qui bloquent le fonctionnement des institutions en recherchant toujours l’efficacité impactante ;
- Intégrer que l’homme politique dans son action publique ne doit ni se leurrer lui-même ni fourvoyer ses électeurs : on est élu pour servir honnêtement le peuple et résoudre courageusement les problèmes pour lesquels on s’est engagé à travers son serment ;
- Ne pas se laisser impressionner par la popularité au point de séduire par la manipulation plutôt que par la sincérité ;
- Déplorer le pilotage avec la boussole des sondages et des statistiques manipulatrices de l’opinion et des institutions internationales ;
- Ne pas être obnubilé par la philosophie de « après nous, c’est nous et après nous ça va être encore nous », quitte à tripatouiller les élections même avec un bain de sang pour conserver à tout prix le pouvoir ;
10.Savoir rester ferme avec honnêteté sur des solutions qui règlent durablement un problème crucial que de vouloir se soumettre à l’opinion qui désapprouve des mesures qu’elle estime contraignantes ;
- Pour qu’un changement soit radical, il faut construire ce virage radical sans exclure, sans humilier et sans commettre des violences sur les personnes qui ont d’autres opinions que les vôtres. Une réforme se discute avant, pendant et après sa réalisation ;
- Si l’écoute devient la faiblesse qui met la barrière étanche entre les gestionnaires du pouvoir et ceux qui sont concernés par les ordres donnés, une crise est à craindre. Lorsque l’écoute tend à s’émousser, l’autorité s’affaissant, la brutalité du pouvoir prend le dessus et il faut s’en méfier en sachant remettre les compteurs à zéro. C’est la meilleure façon d’être honnête. L’entêtement excessif tue la confiance et l’écoute.
Toute posture de l’homme à titre institutionnel ou personnel épouse toujours une idéologie qui gouverne sa pensée, ses intentions, ses projets et la manière dont il se comporte au sein de toute société. On peut citer cinq conditions d’élégance du cœur qu’on doit cultiver pour échapper à la jalousie de voir les autres réussir : humilité, désintéressement, générosité, compassion, pardon.
- A chacun, son état d’esprit bienveillant ou malveillant. Il faut considérer que vivre sans ligne de démarcation pour un homme, c’est faire le choix de vivre sans éthique.
La force d’une gouvernance au service du peuple, c’est celle qui indique le chemin de l’exemplarité à chaque dirigeant public en lui rappelant sans cesse son serment de serviteur loyal à la république.
Quand votre pays est en difficulté, le sacrifice proportionnel fait partie des urgences nationales et le peuple doit constater que les dirigeants sont conscients de sa souffrance et la vivent avec lui comme un noble geste de solidarité nationale. Autrement dit, la puissance publique est aussi l’ensemble des générosités qu’un Etat soucieux de l’intérêt général et du bien commun partage avec la nation. Toute autre attitude relève de l’imposture à cet égard.
- Pour comprendre l’honnêteté, il faut aller à sa seule source qu’est la sagesse avec sa seule arme qu’est l’éthique et le seul comportement qu’il requiert, la pudeur.
Qu’est-ce que la sagesse, cette valeur qui donne du sens à l’existence humaine en toute chose et en toute circonstance, de votre vivant et après votre mort?
- La sagesse c’est le comportement d’une personne ancré dans le respect des valeurs de droiture et d’exemplarité. Elle incarne le devoir bien fait, le désintéressement, le don de soi, l’ouverture, l’empathie, la compassion, la tolérance et le pardon.
Pour les croyants, la sagesse est une culture morale se traduisant par un comportement sous influence de la crainte de Dieu et qui dédramatise les fautes et aide l’homme à s’améliorer et à s’élever.
- La sagesse veut que la pratique de l’homme soit en harmonie avec ses pensées, sa vision, ses valeurs et ses paroles.
Cette harmonie avec soi-même et avec les autres tenant lieu d’une charge vibratoire bienfaisante a été consacrée dans de nombreuses constitutions africaines concernant particulièrement les personnes élues à une fonction politique ou nommées à une fonction publique. C’est cette équivalence spirituelle entre le mental et le comportement qui fonde l’état d’esprit positif qu’on appelle l’honnêteté ou la probité.
On peut être d’un grand niveau intellectuel, être à un haut poste, avoir beaucoup d’argent et faire référence constamment à la parole divine sans incarner la sagesse.
La sagesse ce n’est pas une affaire d’âge, non plus une posture de dépositaire de savoirs endogènes étendus. C’est tout simplement l’ensemble des limites de bon sens librement consenties qu’est l’éthique que vous vous donnez à chaque circonstance de votre vie et qui interpelle vos semblables parce que votre mode de vie donne du sens à leur propre vie.
- Ce n’est donc pas facile d’être sage, mais l’être ou le devenir doit être le défi quotidien de tout homme qui cultive le sens de la responsabilité, de l’honneur ou la respectabilité et de la dignité.
L’homme sage est forcément humaniste, humble, juste, pédagogue et organisé dans ce qu’il fait. Cultivant le compagnonnage, il n’attend ni reconnaissances, ni remerciements de personne. Il fait de sa façon d’être un devoir envers la communauté.
Fin de séquence 1
Par Simon-Narcisse TOMETY, Staséologue, expert en approche NE PAS NUIRE