Dans un monde bousculé par de profondes reconfigurations des rapports de force, penser l’Afrique stratégiquement et souverainement est devenu, plus que jamais, une urgence collective. Comprendre les dynamiques d’influence, interroger les récits dominants, identifier et mobiliser les leviers de puissance constituent désormais une exigence incontournable pour redéfinir le rôle et la voix du continent sur la scène internationale.
Penser ne revient pas à théoriser dans l’abstrait. Penser, c’est tracer des trajectoires concrètes, bâtir des alternatives, formuler des visions ambitieuses et réalisables pour le développement du continent. Partager le fruit de cette pensée peut s’avérer inconfortable, mais c’est une responsabilité à laquelle nous ne pouvons, ni ne devons, nous soustraire. En effet, ce n’est qu’au contact des autres, dans le partage, le dialogue, et parfois la controverse, que la pensée s’aiguise, gagne en clarté, en force, en portée, et devient véritablement transformatrice.
C’est dans cet esprit que j’ai récemment publié sur LinkedIn une analyse centrée sur l’excellence stratégique de mon cher Steve Bannon, ami de Donald J. Trump, ancien stratège en chef de la Maison Blanche et figure centrale du mouvement Make America Great Again (MAGA). Loin de toute adhésion idéologique, l’objectif était de mettre en lumière sa maîtrise des outils d’influence et sa capacité à structurer un narratif politique puissant. Pourtant, le simple fait de le citer a suscité quelques vives réactions. Qu’une femme africaine, noire, libre dans sa pensée, ose prendre Steve Bannon comme cas d’école a dérangé certains. Mais, j’ai tenu bon, non par provocation, ni par amitié, mais par honnêteté intellectuelle.
En effet, nous devons systématiquement oser ces analyses stratégiques désengagées, car, dans le sillage de celles et ceux qui nous ont précédés, notre génération se trouve dans un contexte mondial qui exige une pensée encore plus lucide, pragmatique et audacieuse. Nous ne pouvons pas nous permettre l’utopie ou la complaisance : il nous faut bâtir des réponses ancrées dans nos réalités et tournées vers l’action. Une phrase intemporelle de Frantz Fanon me revient souvent à l’esprit : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir. » La nôtre ne manque pas de défis : souveraineté, mondialisation, justice sociale, unité africaine, transformation économique, stabilité politique, pour n’en citer que quelques-uns.
En tant que praticienne et chercheure engagée dans le domaine de la diplomatie économique continentale, je suis convaincue que la clé réside dans une pensée intellectuelle à la fois transgénérationnelle, transcontinentale et transidéologique.
C’est dans ce contexte que les propos récents du président Bruno Amoussou, tenus à l’occasion du lancement de l’ouvrage de l’abbé Éric Aguénounon (Le Procès « Démocratie et Bureaucratie » dans le jury Lefort et Weber), ont profondément résonné en moi. Avec la hauteur de vue qu’on lui reconnaît, il a, dans une démarche profondément panafricaine, invité les intellectuels africains à s’engager pleinement dans les débats portant sur les grandes préoccupations du continent.
Cet appel, lancé depuis le Bénin, jadis surnommé le « quartier latin de l’Afrique » en raison de son foisonnement intellectuel et de sa contribution majeure aux réflexions panafricaines, nous exhorte à penser l’Afrique avec responsabilité, rigueur, ambition et audace.
Voilà, à mes yeux, l’essence d’un panafricanisme d’impact : stratégique, assumé, ancré dans nos valeurs et résolument ouvert sur le monde. Un panafricanisme qui se construit à travers une pensée intellectuelle transformatrice et souveraine.
Bâtir l’Afrique que nous voulons commence par là.
Rachelle Yayi