Sommeil : communiquer durant nos rêves, c’est possible

Pour la première fois, une étude montre qu’une communication à double sens, de l’expérimentateur vers le rêveur et vice-versa est possible au cours du rêve. Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension scientifique du rêve… Deux spécialistes nous aident à explorer ce territoire obscur.

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Pourquoi rêvons-nous ? De quoi rêvons-nous exactement ? Que se passe-t-il dans notre cerveau au cours de cette expérience mystérieuse ? Autant de questions qui passionnent les chercheurs en neurosciences et auxquelles il est particulièrement difficile de répondre. En effet, les connaissances scientifiques sur le rêve s’appuient principalement sur le récit qu’en fait le rêveur à son réveil. Des biais de mémoire, d’autocensure ou de fabulation sont donc possibles. D’autant que lorsque nous rêvons, nous sommes à première vue coupés du monde, incapables de recevoir des informations de l’environnement et d’y répondre. Et si ce n’était pas le cas ? Tel est le constat d’une étude menée par des chercheurs français.

Il est possible de communiquer durant nos rêves, estiment des chercheurs

Cette équipe scientifique composée de chercheurs de l’Inserm, de l’AP-HP, de Sorbonne Université et du CNRS est parti du constat que pour faire avancer la recherche, les scientifiques tournent vers les « rêveurs lucides », des individus conscients de rêver lorsqu’ils rêvent et, pour certains, capables d’influer sur le scénario de leur rêve. Des études ont notamment déjà montré que ces rêveurs étaient capables d’informer de leur lucidité et donc du début et de la fin d’une tâche prédéfinie réalisée en rêve (par exemple, retenir sa respiration), grâce à un code oculaire appris au préalable. Mais cette communication est cependant à sens unique : seul le rêveur peut signaler qu’il a conscience qu’il rêve.

Comment communiquer avec quelqu’un d’endormi ?

« L’idée d’une communication à double-sens pouvait paraître une ambition inatteignable. Mais si nous montrions qu’elle était possible, de nouvelles pistes fascinantes s’ouvraient pour l’étude du rêve », explique Delphine Oudiette, chercheuse Inserm à l’Institut du cerveau. L’équipe a d’abord fait appel à un rêveur lucide très expérimenté pour essayer d’établir cette double communication. Ils Les chercheurs ont pour cela utilisé différents types de stimulations, comme des questions ouvertes posées à voix haute (est-ce que tu aimes ci ou ça ?), des stimuli tactiles (tapotements sur la main à compter) ou encore des tâches de discrimination sémantique (distinguer des mots simples comme « haut », « bas » …).

La personne endormie devait ensuite répondre à ces questions en contractant les muscles de son visage, par exemple en souriant pour dire « oui » et en fronçant les sourcils pour dire « non ». Les résultats ont montré que le sujet était capable de répondre à un certain nombre de ces stimulations alors qu’il était endormi. Au réveil, il a par ailleurs rapporté que la voix de la chercheuse survenait comme une « voix divine » au milieu de son rêve, dans lequel il faisait la fête avec des amis. Les chercheurs avaient donc une première preuve de concept qu’un dialogue avec un rêveur est possible, et se sont aperçus que plusieurs laboratoires dans le monde conduisaient des expériences similaires.

Une communication « bidirectionnelle » est possible

« Dans notre équipe, nous menons nos études avec des sujets narcoleptiques car leur accès au sommeil paradoxal, au cours duquel le rêve lucide se produit, est privilégié, mais d’autres réalisent leurs expérimentations sur des sujets sans troubles du sommeil », poursuit Delphine Oudiette. Ce trouble du sommeil est caractérisé par un sommeil nocturne de durée normale mais de qualité médiocre, une somnolence diurne excessive et des endormissements irrépressibles à tout moment de la journée. Aussi, les personnes narcoleptiques atteignent rapidement le sommeil paradoxal, stade au cours duquel les rêves lucides se produisent, et sont également de grands rêveurs lucides par rapport à la population générale.

Les différents groupes (français, américains, allemands, néerlandais) ont mis leurs données obtenues indépendamment en commun, ce qui leur a permis de confirmer avec des données supplémentaires qu’il est possible d’avoir une communication dite « bidirectionnelle » au cours du rêve. Dans les différentes études, les sujets étaient par exemple capables de répondre aux questions (par exemple à des exercices de calcul mental) par le biais d’un code oculaire ou la contraction des muscles faciaux. En combinant ces tâches et des enregistrements électrophysiologiques, les chercheurs ont montré que les rêveurs étaient toujours en sommeil paradoxal lorsqu’ils répondaient aux questions.

« S’il s’agit pour le moment d’une preuve de concept que la communication à double sens est possible (les conditions dans lesquelles elle a été établie étant particulièrement difficiles à mettre en place hors d’un contexte expérimental), les implications pour la recherche portant sur le sommeil, le rêve ou même la conscience sont majeures », soulignent les chercheurs. Ces derniers concluent en espérant que « la possibilité de communiquer avec le rêveur ouvre également des perspectives pour identifier des marqueurs physiologiques de la conscience et du rêve et décoder l’activité de notre cerveau au cours de l’expérience onirique. » Et ce afin de mieux comprendre le rôle du rêve et du sommeil.

À quoi servent les rêves ?

« Les rêves sont une mine d’informations sur notre état. Mais pour entendre ces messages, il faut passer au-delà de la métaphore », explique Tristan Moir, psychanalyste. Pour la Pre Isabelle Arnulf, neurologue et spécialiste du sommeil, rêver répond à trois grandes fonctions.

  • « La première est de mémoriser. On rejoue durant le sommeil les événements marquants de notre vie, et l’on choisit plutôt de remettre en scène les parties difficiles. Le cerveau va même plus loin, il les transforme de telle manière qu’on puisse les généraliser. Ce travail créatif nous permet de nourrir des comparaisons avec d’autres situations pour en tirer une nouvelle expérience. »
     
  • Ensuite, les rêves nouspermettent de simuler la menace« On s’est demandé pourquoi les rêves négatifs étaient plus nombreux que les rêves positifs quel que soit l’endroit où on les étudie dans le monde. En réalité, il semblerait qu’ils nous permettent de nous entraîner à être plus réactifs pour faire face aux dangers. »
     
  • Enfin, les rêves nous aident à gérer nos émotions. Le sommeil permet de retenir mais aussi d’oublier. Cela n’est pas paradoxal car les rêves permettent de fixer un événement tout en diminuant sa charge émotionnelle. Par exemple, les rêves d’un groupe de divorcés ont été étudiés. Résultat ? Ceux qui rêvaient le plus de leur futur ex-conjoint ont mieux traversé cette période que ceux qui en rêvaient moins.

De quelle manière rêvons-nous ?

Voilà une question que les scientifiques explorent, avançant à grands pas grâce notamment aux progrès de l’imagerie médicale. On a longtemps cru que nos rêves n’apparaissaient que lors du sommeil paradoxal, le dernier stade d’un cycle. En réalité, il n’en est rien. Nous rêvons toute la nuit, comme le souligne la Pre Arnulf :

« On sait désormais que rêver, c’est la façon de penser du cerveau pendant le sommeil. En réveillant les dormeurs à toutes les phases du sommeil dans nos expériences, on a pu constater qu’à chaque fois il y avait un récit. Certes, ce récit est différent suivant chaque phase. »

  • Dès l’endormissement, on commence à rêver.
  • En sommeil lent, les rêves se font plus ordinaires et plus agréables.
  • En sommeil paradoxal, les rêves sont plus scénarisés, les émotions deviennent plus fortes, nos comportements sont plus agressifs, plus surprenants.

Peut-on ne pas rêver ? Non, tout le monde rêve. Mais on s’en souvient peu ou mal. Ceux qui mémorisent les rêves le mieux sont généralement ceux qui se réveillent souvent car il est plus facile de se souvenir des rêves qui précèdent le réveil.

Est-ce utile de se souvenir de ses rêves ?

Nous sommes plus de 99 % à pouvoir nous remémorer au moins quelques images de nos rêves. Mais que l’on s’en rappelle ou non, ils conservent leurs fonctions. Certes, cela peut être frustrant de ne pas bien s’en souvenir. Rien n’interdit alors de noter ses rêves, une fois par semaine, par exemple.

Que disent de nous les rêves ?

Le psychanalyste Tristan Moir affirme que les rêves disent tout de nous !

« Les rêves sont le mode de communication de l’inconscient vers le conscient, une mine d’informations sur notre état. Mais pour entendre ces messages, il faut s’éloigner du premier degré de compréhension parce que les rêves sont les rois de la métaphore. Ainsi, quand je rêve que je me trompe de direction, cela peut-il signifier que je ne prends pas les bonnes décisions. »

A contrario, pour les scientifiques du sommeil, nos rêves nous ressemblent, comme nos pensées, quelques bizarreries en supplément, mais on ne peut guère pousser plus loin l’interprétation.

Pourquoi se souvient-on plus des cauchemars ?

Les émotions fortes retenant davantage notre attention, les cauchemars marquent plus notre mémoire. Mais les scientifiques préfèrent parler de rêves négatifs.

« En effet, constate Isabelle Arnulf, il ne s’agit pas toujours de mises en danger, mais plus simplement de préoccupations du quotidien scénarisées de manière négative. »

Ces rêves sont plus présents après un événement traumatique, mais pas en période de stress, même si les scientifiques ont constaté que les dépressifs font plus de rêves négatifs, sans savoir l’expliquer pour l’instant.A lire aussi :Pourquoi fait-on des cauchemars ?

Pourquoi certains rêves sont-ils récurrents ?

Pour Tristan Moir, ils traduisent à n’en point douter un blocage.

« Le rêve, par exemple, de ne pas réussir à se mouvoir est un rêve d’impuissance, générateur d’une grande angoisse. Il peut traduire le ressenti du rêveur dans sa vie qui a l’impression de ne pas avancer. »

Les scientifiques quant à eux restent plus nuancés. Seule piste proposée pour l’instant : ces rêves seraient la transposition d’un autre événement vécu, mais lequel ? Ils n’affirment rien.

Fait-on des rêves identiques partout dans le monde ?

À tous les points de la planète, nous partageons des facteurs communs dans nos rêves. Ainsi a-t-on étudié que l’agressivité est aussi répandue dans les rêves des Suisses que dans ceux des Indiens d’Amazonie.

En revanche, les types d’agressivité diffèrent. Chez les Suisses, elle s’exprime plus de manière verbale tandis que chez les Indiens elle est plutôt physique. Les grandes lignes sont les mêmes, mais la nuit, elles se colorent du quotidien de chacun.

Pourquoi ne retient-on souvent qu’une seule image ?

Comme il est très difficile de garder la mémoire de nos rêves, ils se résument parfois à une seule image, la plus prégnante.

C’est la charge émotionnelle de cette image, négative ou positive, qui fait qu’elle s’ancre mieux dans notre mémoire. Et cette image permet parfois de reconstruire le rêve quand on cherche à se le remémorer.

Interpréter les rêves, est-ce possible ?

Pour Tristan Moir, cela ne fait aucun doute.

« Le rêve est un langage composé d’une syntaxe, avec un décor, une narration et parfois une conclusion et une sémantique, avec ses mots et ses symboles. Un système de codes donc, que l’on doit pouvoir apprendre à lire. D’autant que certains de ces codes ont une valeur universelle. »

Par exemple, selon lui, la maison est une représentation de soi, du corps ; le fait de courir, celle de notre capacité à dépasser nos angoisses. Mais cette question continue d’opposer les psychanalystes.

Faut-il interpréter les rêves ou simplement les recevoir comme un élément supplémentaire de l’intimité de l’analysé ? « Tant que l’on n’a pas davantage progressé sur le contenu et l’organisation des rêves, tranche Isabelle Arnulf, vouloir interpréter les rêves, c’est un peu mettre la charrue avant les bœufs. »

Pourquoi certaines personnes habitent-elles plus nos rêves que d’autres ?

Les scientifiques ont pu constater à quel point nos rêves étaient sociaux : on y croise en moyenne deux à quatre personnes différentes.

De façon directe ou indirecte, il s’agit de figures de notre quotidien. Mais pour Tristan Moir, ces personnages sont le plus souvent une projection de nous-même sous d’autres habits, celui d’un collègue, d’une star de cinéma ou encore de nos parents.

Doit-on les raconter, notamment aux personnes concernées ?

Pourquoi s’en priver ? D’autant que ce processus de communication permet d’entendre ce que nous n’avions peut-être pas perçu. Verbaliser le rêve lui donne corps, le rend plus concret. L’autre, celui à qui on le raconte, peut aussi nous y aider.

Les rêves peuvent-ils être prémonitoires ?

Scientifiques et psychanalystes s’accordent pour répondre négativement. Pour ces derniers, les rêves ne parlent en réalité que de celui qui rêve. Pas plus. Pour les premiers, anticiper en rêve des événements négatifs, c’est une manière de mieux se préparer aux difficultés, quitte ensuite à en conclure qu’on les avait prédits.

Comment contrôler ses rêves ?

Nous sommes nombreux à connaître le rêve lucide. Il concerne 51 % de la population. Il s’agit de ce moment, en général proche du réveil, où nous savons que nous sommes en train de rêver.

Une exception, puisque dans le sommeil nous perdons en principe notre conscience réflexive, nous ne savons pas que nous rêvons. Et un moment particulier parce que pendant ces rêves lucides, il peut arriver que l’on influe sur ses développements en faisant apparaître des personnages ou en s’envolant pour échapper à une situation de danger presque “à volonté”.

Il peut être bon d’encourager ces rêves lucides pour apprivoiser les nuits de ceux qui font beaucoup de cauchemars. Certaines techniques cognitives le permettent : noter le cauchemar, le relire réveillé, en changer la fin malheureuse en une fin heureuse pour relire ce scénario positif avant de s’endormir, ou penser intensément avant de dormir “je sais que c’est un rêve et que je peux le diriger”. Ces techniques calment ceux qui souffrent de rêves trop douloureux.

Santé Magazine

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