Installation de la délégation au contrôle et éthique dans l’enseignement supérieur au Bénin Les réserves de Philippe Noudjènoumè (Opinion)

A l’installation de la « Délégation Générale au Contrôle et à l’Ethique dans l’enseignement supérieur » le 17 février dernier, le Président Patrice Talon a fait des déclarations dont le moins que l’on peut dire est qu’elles sont à polémique. L’importance et la portée des propos sont si grandes qu’elles suscitent une houle de controverses qui dépassent la simple sphère universitaire.

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A l’installation de la « Délégation Générale au Contrôle et à l’Ethique dans l’enseignement supérieur » le 17 février dernier, le Président Patrice Talon a fait des déclarations dont le moins que l’on peut dire est qu’elles sont à polémique. L’importance et la portée des propos sont si grandes qu’elles suscitent une houle de controverses qui dépassent la simple sphère universitaire.

Pour aborder la question avec quelque profondeur, nous procéderons en les points suivants :

I- Comment le pouvoir de la Rupture par ses réformes, œuvre ardemment à tuer l’institution universitaire.

II- Comment, profitant des dénonciations populaires de la politique ruineuse du pouvoir de la Rupture, les zélateurs montent au créneau pour la réhabilitation du système peu performant du CAMES.

I- Comment le Pouvoir de la Rupture tue l’institution universitaire.

L’institution universitaire pour se déployer, a besoin de deux piliers : la liberté d’administration, la liberté académique de pensée, de recherche et d’expression sur les campus d’une part, les objectifs et les moyens d’enseignement et de recherche, d’autre part.

Malheureusement, dès l’arrivée du pouvoir de Patrice en 2016, toute sa politique a consisté à priver le monde universitaire et des unes (libertés académiques) et des autres (les moyens).

Ecoutons le Président Talon dans sa déclaration du 17 février 2023 :

« Si dans un temps, nous avons travaillé à réorganiser la gouvernance, il restait encore à s’attaquer au champ de l’éthique, de la pédagogie, de la déontologie et de la qualité ».

Toute la réforme universitaire du Président Talon se résume en ces deux paramètres : D’une part, « réorganiser la gouvernance », c’est-à-dire, détruire toutes les libertés académiques gagnées de haute lutte, embastiller l’université en lui arrachant toute autonomie administrative et académique pour la transformer d’Etablissement Public en une simple Structure déconcentrée avec la nomination de toutes les autorités universitaires (recteurs, doyens, vice-doyens, etc. tous nommés). Ce qui est déjà accompli. L’université est déjà aujourd’hui devenue une série de garnisons du pouvoir de la Rupture.

Après avoir achevé cette manche, le Président Talon avec l’installation de la Délégation Générale au Contrôle et à l’Ethique, s’attaque aux mœurs, c’est-à-dire à la conduite des enseignants tant dans la pédagogie que dans les rapports enseignants-étudiants.

D’autre part, priver l’institution universitaire et des objectifs en termes de projet de recherche et de développement et des moyens nécessaires (matériels, humains et financiers) pour cela.

Or, nous savons que la mission de tout Gouvernement responsable se décline en ces deux volets : le premier consistant à fixer aux universités des objectifs globaux en termes de recherches fondamentales et de recherches appliquées, en vue d’un développement voulu du pays. Le deuxième, mettre à disposition des universités et des enseignants-chercheurs, des moyens tant en personnel qu’en matériel (construction de labo performants et autres infrastructures de pointe) et en moyens financiers.

Sur ces derniers points, le pouvoir de la Rupture a brillé par la négativité. Depuis son accession au pouvoir en 2016, combien d’enseignants du supérieur ont été recrutés ? Combien d’amphis construits ? Combien de laboratoires de pointes construits ? Avec cela peut-on prétendre et réclamer l’excellence ?

Depuis 2016, le recrutement des enseignants chercheurs a été pratiquement gelé : Selon des chiffres avancés, seulement 184 enseignants-chercheurs ont été recrutés dans la période 2016-2022 sur une promesse de 1535 au lancement du PAG en 2016. Dans le même temps, on a enregistré plus de 260 départs à la retraite. Pendant que l’UAC est passée en effectifs de 69.000 en 2016 à plus de 110.000 étudiants, on n’y a construit aucune infrastructure nouvelle.

Sans que le Gouvernement ne fixe de grands objectifs en termes de recherche-développement et surtout ne mette à disposition les moyens conséquents (ou plutôt réduit les moyens du fonctionnement des universités), il exige « la conscience professionnelle …et la qualité du contenu des enseignements » ; il exige des enseignants qu’ils soient « dotés de connaissances pointues régulièrement mises à jour » ; il exige enfin que « celui qu’on dénomme communément professeur d’université devra être un expert dans sa discipline, et son expertise devra régulièrement être évaluée par d’autres experts de renommée internationale».

Ainsi c’est réellement à tort, que sans accomplir les obligations qui lui incombent en tant que Gouvernement, le Président Talon exige un « assainissement des mœurs », autrement dit, il laisse le fond des choses, pour s’attaquer aux formes ; ce qui est l’une des marques d’un pouvoir autocratique. Comme l’a souligné justement le Professeur Faustin AÏSSI « le mal de l’université béninoise est plus profond. C’est toute notre éducation nationale qui est malade et est à repenser et réorganiser complétement et il faut s’en donner les moyens, repenser le système puis affecter les moyens financiers pour y arriver ».

Le mal de l’université est réellement profond ; il se pose d’abord un problème d’objectif patriotique à fixer, puis les financements conséquents pour y parvenir ; c’est seulement après cela que peuvent se poser les questions de mœurs et d’éthique.

Certes, effectivement, il se pose à l’université de graves problèmes de pédagogie, de mœurs et d’éthique. On assiste à ces pratiques où des enseignements annuels se déroulent en séminaire d’une semaine et encore en ligne ; où des enseignants titulaires abandonnent leurs enseignements à des assistants ; qu’ils donnent des résultats avec parfois plus de 80% d’échecs sans que cela les émeuve de la moindre manière ; des enseignants qui pour des raisons d’argent, créent des formations, « des masters » dits professionnels et taxés à des centaines de milliers de francs CFA, éliminant du coup les enfants des pauvres ; créent et multiplient des taxes et faux frais divers pour accabler les apprenants ; il est vrai que s’instaure ainsi à l’université des pratiques morales fangeuses, mandarinales, inhibitrices de la science et de la culture. Et tout enseignant du supérieur, tout parent d’étudiant, tout citoyen soucieux de l’avenir de ce pays qui passe par l’institution universitaire, se doit de s’en préoccuper. Un peu partout, le laisser-aller, le mandarinat, le mépris de toute conscience professionnelle, la volonté et l’organisation pour écraser l’étudiant et le décourager à jamais de l’effort pour l’acquisition de la science, la constitution de petites « autonomies féodales » à travers les « formations universitaires dites professionnalisées », extraites de contrôle de toute autorité. Cela est visible, cela est frappant. Tout cela sous le parapluie du CAMES qui autorise par la délivrance des labels toutes ces extravagances pédagogiques.

Mais comme nous le disions plus haut, ce n’est pas d’abord l’essentiel du mal universitaire ; cela intervient comme un complément qui achève le processus de décomposition de l’institution universitaire au Bénin.

II – Comment profitant des dénonciations populaires de la politique ruineuse du pouvoir de la Rupture, les zélateurs montent au créneau pour la réhabilitation du système peu performant du CAMES

Le débat autour du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) est Vieux, marquant le clivage entre le Syndicat autonome de la recherche et de l’enseignement supérieur (SYNARES) historique et Glorieux au Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNES). Créé en 1968, le CAMES a été pendant longtemps boudé par une bonne partie de la haute intelligentsia universitaire béninoise dont par exemple le Professeur Hountondji Paulin et autres. En effet jusqu’en 1968, il n’y avait pas d’universités en Afrique francophone, à part Dakar. Les parcours d’entrée universitaire étaient strictement contrôlés par la France à travers cette Université et le diplôme du bac délivré par l’Université de Dakar. A partir de 1968, les exigences se faisaient pressantes de création des universités par Etat. Et pour continuer le contrôle et la mainmise sur les nombreuses universités, et la formation universitaire, il fut créé le CAMES qui est un axe central de la Francophonie. Telle est et demeure l’institution CAMES, une institution pour le rayonnement de la culture française.

Le débat ancien entre le SNES et le SYNARES, et l’opposition entre les deux lignes tournaient autour de cette caractéristique. Et ce débat est ramené par la Déclaration du Président Talon selon laquelle « désormais au Bénin, les grades du CAMES ne donneront plus automatiquement droit aux fonctions d’enseignant dans le supérieur public. Une qualification complémentaire sera requise ».

La ligne de fracture entre les deux Organisations passe par la caractérisation de la nature du CAMES et celle de sa performance. Au regard des considérations qui sont celles, ci avant soulignées, la position qui est celle du SYNARES était la nécessité pour chaque Etat et donc pour le Bénin, de la création d’une Structure Autonome en charge de l’évaluation et de la promotion de ses cadres enseignants universitaires. Est-il bon de confier l’évaluation de ses enseignants et leur promotion automatique à une structure étrangère ? Si l’on estime que chaque Pays détermine ses objectifs en termes de recherche et de développement et définit des profils de ses cadres adéquats, est-il normal de confier la promotion automatique par une structure extérieure à son pays ? La réponse est non. Même dans un même pays fédéral comme les USA, il existe des académies par Etat.

L’exigence normale est que chaque pays se dote de son propre système d’évaluation et de promotion des enseignants du supérieur ; la proposition d’avoir «un système complémentaire d’évaluation et de promotion de ses enseignants du supérieur » semble aller dans l’ordre normal des choses du point de vue patriotique. La constitution éventuelle d’une Fédération de nos Etats n’empêchera pas cette exigence comme souligné plus haut pour le cas des Etats-Unis. Ces considérations doivent être séparées des questions politiques ou financières de répression contre les enseignants du supérieur.

Dans ces conditions, comment s’évaluent les enseignants ? Ils s’évaluent par leurs pairs, soit à l’interne soit à l’international avec des experts des autres universités du pays ou des universités de la sous-région, ou du monde, sans distinction linguistique (anglophone, francophone, lusophone, etc.)

Les zélateurs du CAMES profitant de la dénonciation populaire de la politique négative du pouvoir de la Rupture, montent au créneau pour la réhabilitation de ce système peu performant. Ecoutons l’un de ceux-là en l’occurrence BOGNIAHO Ascension : « J’ai vu des pays africains récriminer contre le CAMES, en sortir avec fracas. Mais au terme de leur aventure scientifique périlleuse, de leur pérégrination sans lendemain, je les ai vus revenir en force. Alors, j’ai réalisé ce qu’était le CAMES et ce qu’il restera malgré des coups d’épée sporadiques dans les eaux fécondes et tranquilles de son grand fleuve dont les affluents sont les pays membres et leurs ressortissants enseignants…personne ne pourra me taxer d’hérésie ou d’intégrisme camésien si j’affirme que le CAMES est à lui tout seul un royaume dont le souverain est la SCIENCE et les enseignants, les princes et, enfin, les pays membres, les sujets. Mais qu’est-ce vraiment le CAMES ?

Heureuse création du génie africain – il est de notoriété que la science s’origine en Afrique, dans l’Égypte ancienne -, le CAMES est l’unique organisme au monde d’évaluation et de promotion des enseignants du supérieur en Afrique. Il n’y a pas encore, que je sache, son semblable dans le monde !!!??? »

Voilà les propos déclamatoires du Professeur à la Retraite Ascension BOGNIAHO.

Je suis d’autant plus à l’aise de parler de lui que j’ai fait le même collège que lui, le collège Père Aupiais (dès la sixième) ; que j’ai traîné les bosses avec lui sur le campus de Calavi pendant des années, lui en lettres, moi en droit, et qu’il ne lui viendrait pas à l’esprit de penser que mes propos proviennent de quelqu’un d’incapable et piètre en productions scientifiques !

Car, c’est souvent les positions des zélés pro-CAMES pour qui « le Chef de l’Etat est surement mal renseigné par des gens qui ont échoué pour insuffisance au CAMES et ceux-là grâce à leur proximité avec lui veulent régler des comptes au CAMES » comme le dirait quelqu’un lu sur des réseaux sociaux.

Le Professeur Augustin AÏNAMON abonde largement dans ce sens « À défaut, dit-il, de réussir à démolir le CAMES reconnu par les grands systèmes d’enseignement supérieur et de recherche et que nous envient des pays comme le Nigeria qui a une bonne longueur d’avance sur les pays francophones en qualité et en quantité, on tombe des nues en entendant ces élucubrations invraisemblables ».

Voyons Professeurs et chers Collègues ! Un peu de rationalité dans la défense des causes. Hum !! « Heureuse création du génie africain -il est de notoriété que la science s’origine en Afrique, dans l’Égypte ancienne -, le CAMES est l’unique organisme au monde d’évaluation et de promotion des enseignants du supérieur en Afrique. Il n’y a pas encore, que je sache, son semblable dans le monde » ainsi parla Zarathoustra-BOGNIAHO. Quel est le critère scientifique d’appréciation qui permet d’avancer de telles contre-vérités ? Tenez !

Pour ne pas être taxé de manipulateur, je prends une source francophone, un média de source ivoirienne.

« La liste de meilleures universités d’Afrique est entièrement vampirisée par les établissements d’enseignement supérieurs anglophones. Comme le veut la tradition chaque année, UNIRANK réactualise son podium des établissements universitaires africains réputés pour la qualité de l’enseignement. Les universités francophones invisibles depuis bien des années dans le top 100 dans le classement universitaire sont encore loin de rivaliser avec les établissements anglophones encore cette année. Les universités issues des pays francophones se comptent sur le bout des doigts dans ce classement des 100 meilleurs » (www.cotedivoire.news). Et dans cette liste des 100 meilleures universités africaines, l’Afrique du Sud en aligne à elle seule 20, dont les 8 premières places, le Nigeria aligne 15 (les 11ème 12,15,20,24,32,58,64,68,70,83,84,90,96,9ème places du podium) ; l’Egypte, 12 places (les places : 14, 27, 30, 42, 53, 57, 63,78, 85,91), le Ghana 2 (35 et 41ème places), l’Algérie 5 (39, 49,55,60,86) (www.cotedivoire.news 2020.) Dans le classement de 2021-2022, SCG (Social Capital Gateway), les choses ont un peu évolué ; on trouve toujours l’Afrique du Sud en tête. Sur les cent premières universités africaines, nous avons l’Afrique du Sud qui aligne environ vingt universités, l’Egypte 15, l’Algérie 13, le Maroc 10, la Tunisie 5, le Nigeria 11, le Ghana 5, le Kenya 6, etc. Dans tout cela, où se trouvent les Universités membres du CAMES ? Rappelons que dix-neuf pays sont membres du CAMES et chaque Etat aligne au moins trois ; le Cameroun en aligne 8 et la Côte d’Ivoire 5. Ce qui fait que nous avons au moins soixante universités au CAMES. Dans le classement de 2020, seuls deux Universités du CAMES sont représentées ; l’université Cheick Anta Diop de Dakar et l’Université de Lomé respectivement aux rangs des 48ème et 82ème. Autrement dit, sur 19 Etats et plus d’une soixantaine d’Universités, seulement deux sont représentées dans les 100 premières. Avec toutes les variables, on n’a pas plus de trois universités représentées.

Où se trouve la performance du système CAMES tant vantée par nos thuriféraires ? Où en est la performance ? Qu’est-ce qu’un pays comme le Nigeria nous « envierait au CAMES » alors qu’il nous écrase dans tous les compartiments universitaires. Le CAMES se révèle non seulement pas performant mais encore pris en otage par des coteries manœuvrières où la médiocrité est souvent promue au rang des labels au détriment des compétences.

Cela n’est pas surprenant si l’on sait que le CAMES fait partie du système colonial français et en constitue un cadre majeur de domination intellectuelle et culturelle française en Afrique au plus haut niveau de la francophonie, au même titre que le système OHADA (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique). Il prend de l’eau de toutes parts. Il est normal que les éléments les plus zélés de ce système montent au créneau et soient aussi ceux qui défendent bec et ongle le système de FrançAfrique. En fait, à y regarder de près, et le Président Talon et les zélateurs du CAMES, appartiennent au même système (le système de la francophonie) et jouent dans la même Cour ; l’un par escamotage d’une exigence patriotique, les autres par défense des intérêts antipatriotiques corrélés autour du CAMES.

Cotonou, le 3 Mars 2023

Philippe NOUDJENOUME

Professeur de Droit à la retraite

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