Quand l'anodin devient une information

Gabon : l’opposant Albert Ondo Ossa réclame toujours la publication des résultats de la présidentielle de 2023

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Dix mois après le coup d’État, Albert Ondo Ossa demande qu’on publie les vrais résultats de l’élection présidentielle d’août 2023. Après un scrutin entaché de manquements, les autorités avaient proclamé le président Ali Bongo vainqueur, entraînant un coup d’État militaire et sa chute. Beaucoup estiment qu’Albert Ondo Ossa serait le véritable vainqueur de l’élection. Le professeur d’économie ne s’était pas exprimé depuis septembre dernier, même s’il a participé à une conférence de presse collective la semaine dernière. Il dénonce ce qu’il considère comme des dérives autoritaires de la transition en cours qui doit s’achever en août 2024.RFI : Vous avez choisi de prendre la parole lors d’une conférence de presse après de longs mois de silence, qu’est-ce qui vous a décidé ?

Albert Ondo Ossa : Le moment n’est pas encore venu de juger la transition. Mais enfin, je ne réagis que lorsque je sens qu’il y a dérive et un réel risque de virement vers la dictature, et surtout, un retour à l’ordre ancien, le système Bongo-PDG.

Quels éléments vous font penser à cette dérive dont vous parlez ?

Le risque, c’est qu’il y ait un recul vers l’ordre ancien, le système Bongo-PDG, qui a dénaturé notre pays. Lorsque les mêmes pratiques reviennent, c’est un réel problème, et moi, j’ai le devoir de m’adresser à la population gabonaise qui m’a majoritairement voté le 26 août dernier.

Justement, lors de la conférence de presse, vous avez dit être un homme du 26 août. 10 mois après, est-ce que vous vous considérez comme le président légitime du Gabon ?

Les résultats existent, les personnes habilitées les ont publiés. Ce n’est pas une supposition, c’est une réalité, véritablement. J’en tire les justes conclusions qui s’imposent.

Lors de la conférence de presse, le dialogue national est venu sur la table, évidemment. Alors il y a plus de 1 000 recommandations. Quelles sont celles qui vous ont le plus marqué ?

Ce qui est important, ce ne sont pas tellement les recommandations, pour intéressantes qu’elles soient. Les recommandations pêchent par le format arrêté et le mode de désignation des participants. Elles ne portent pas à conséquence. Seul un échantillon représentatif, intégrant toutes les composantes du pays, est habilité à faire des propositions sérieuses qui, elles, engageraient réellement tous les acteurs politiques et ceux de la société civile. Le reste n’est qu’imposture, manipulation et amalgame, à l’image des pratiques bien connues du système Bongo-PDG.

Pourtant, dans ces recommandations, le PDG lui-même est particulièrement visé puisqu’il est recommandé des enquêtes, une inéligibilité de trois ans pour les responsables. Ce n’est pas aller dans le bon sens, justement, contre cet ancien système que vous dénoncez ?

Ce sont des annonces qui procèdent du populisme. Il ne s’agit pas de faire des annonces, c’est une volonté populaire qui doit s’exprimer.

Et que faire de ces conclusions, finalement ?

Il faudrait oublier le dialogue. Un dialogue permet aux parties en présence de pouvoir discuter. Ce n’est pas un dialogue qui réforme les pays. Comment est-ce qu’on réforme un pays dans les pays organisés ? C’est un président de la République qui s’est présenté à une élection avec un programme et qui, sur la base de ce programme, propose des réformes. Ce n’est pas une décision d’autorité de quelqu’un qui sort de je ne sais où.

Qu’est-ce que vous préconiseriez ?

Il y a eu une élection, il y a eu un vainqueur, c’est le retour à l’ordre constitutionnel. Ou alors, on se dit : il y a eu un vote, on rétablit l’ordre républicain, on va à des élections tout de suite. Pas de fausse transition, pas de gens qui s’imposent et qui nous ramènent effectivement le système Bongo-PDG. Moi, je suis un président élu, je ne prends pas la place d’un président en transition. Il faut que les véritables résultats, qui existent, soient publiés et que la Cour constitutionnelle prenne une décision selon les résultats qui existent. Le coup d’État se fait sur une base, à savoir que les résultats étaient tronqués. Si nous sommes logiques, revenons aux vrais résultats, puisqu’ils existent, c’est tout.

Lors des élections, vous avez représenté l’espoir de beaucoup de Gabonais. Est-ce que vous avez l’impression que le général Oligui Nguema vous a un peu remplacé dans cette figure de l’alternance que vous représentiez ?

La popularité, la crédibilité des responsables politiques ne se mesure pas à la popularité supposée. Elle se mesure à l’élection. Un putsch, c’est une situation de fait. Ce n’est pas une situation de droit.

Vous dites que les choses ne vont pas dans le bon sens, qu’est-ce qui ne va pas finalement ?

Lorsque vous voyez se reconstituer les mêmes blocs qui finalement ne sont jamais partis, que concluez-vous ? Les retraités ont-ils été payés ? Quand on voit des gens qui ont été condamnés par la justice qui reviennent à une liberté sans qu’on sache trop pourquoi, on voit des gens qui sont coupables revenir à des postes de responsabilité sans qu’on sache pourquoi, lorsqu’on voit des gens qui ont été décriés, mais qui ne sont pas passés par les tribunaux, revenir allègrement en narguant la population, qu’est-ce que vous croyez ? Moi, je tire les justes conclusions qui s’imposent au regard pas du supposé. Mais de ce qui est réel, et de ce que je vois. Le peuple en a parfaitement conscience.

N’y-a-t-il pas des procédures judiciaires qui ont été lancées, notamment contre Sylvia Bongo, contre Noureddin, est-ce que ce ne sont pas des gages qui vous auraient rassuré ?

Je ne suis pas rassuré. Je répète, dans un pays organisé, il n’y a pas de présomption de culpabilité, jusqu’à preuve du contraire, Sylvia Bongo et les autres sont innocents. Qu’on les passe devant un tribunal et que le tribunal prenne la juste décision qui s’impose. Alors ils seront inculpés. Un État ne s’organise pas sur la base du populisme. Je suis désolé.

Néanmoins, il semble que la popularité du général Oligui Nguema ne soit pas entamée, la transition reste approuvée par la population… Ça semble compliqué de mettre en place ce que vous souhaitez, notamment un retour aux résultats des élections ou alors un scrutin très rapide ?

Je n’en suis pas des suppositions. La crédibilité d’un responsable politique se mesure à l’élection, le reste n’est que supposition. Qu’on aille à l’élection et on verra qui est crédible ou non. Une élection large, où on permet aux gens de se présenter et on verra s’il y a crédibilité de l’un ou de l’autre. C’est la seule sanction. Or la seule sanction qu’on a, c’est celle du 26 août et les résultats existent. Le reste n’est que véritablement superfétatoire.

En août, vous représentiez un espoir avec le soutien d’importantes personnalités politiques.  Aujourd’hui, s’il y avait un scrutin, est-ce que vous ne seriez pas isolé ?

Ce qui importe, c’est d’être au cœur des Gabonais. Isolé par rapport à quoi ? C’est ça la vie politique, les avis politiques se discutent, mais quelle est la sanction ? C’est l’urne. Allons-y dans les conditions normales où tout le monde se reprend et on verra.

En tout cas, s’il y avait des élections, vous seriez candidat, il y en a en août 2025, ça veut peut-être dire que vous vous lanceriez dans la course même l’année prochaine ?

Non, l’année prochaine, c’est loin. Il y a eu une élection. Tirons les justes conclusions qui s’imposent. L’élection procède du droit. Le coup d’Etat, c’est une situation de fait, moi je reste sur une situation de droit.

En tout cas, cette transition, beaucoup de personnalités politiques l’ont rejointe, y compris ceux qui étaient vos alliés lors de la dernière élection. Votre position reste la même, vous ne rejoindrez jamais cette transition ? Vous ne prendrez jamais aucun poste à responsabilités ?

Comme membre de l’équipe et à quelque niveau de responsabilité que ce soit, je dis non. Comme consultant, oui. Toutefois, je ne leur refuserai aucun Conseil, je suis parfaitement disposé, même à titre gracieux pour le pays.

Est-ce que ça veut dire qu’aujourd’hui vous souhaitez rester dans la politique ?

Je pense que quand on a le résultat que j’ai eu, on n’a pas le droit de se défiler. Donc je suis là et cela dépend des Gabonais qui ont porté leur suffrage sur ma personne. J’ajoute que la seule manière de revenir là-dessus, c’est de faire une autre élection et voir ce dont effectivement les autres sont capables. C’est tout. Il n’y a pas d’autre instrument de mesure que l’élection.

Il y a quand même eu une ouverture, que ce soit au sein des députés, des sénateurs, des ministres. Il y a des gens qui sont issus de l’opposition. Ce système vous semble toujours aussi ancré qu’il l’était ?

60 ans d’un système, ça ne se passe pas en une semaine, des habitudes restent. Et ce sont ces habitudes-là qui sont nocives pour notre pays. Si je me réfère au dernier rapport du Fonds monétaire international datant du 30 mai, le Gabon est dans un état catastrophique. Nous mettons la Cemac en danger. À partir de là, c’est le système Bongo-PDG qui perdure. Il faut mettre fin à cet état des choses.

Dans l’actualité, il y a un projet de loi électorale qui est en préparation, certains députés y voient là un retour en arrière, un ministère de l’Intérieur avec la mainmise sur tout le processus. C’est le genre de choses qui vous inquiète pour la suite ?

Si j’ai pris la parole, c’est en raison de tout cela et je pense que les propositions du dialogue et c’est là, qu’est tout le problème, nous n’avons pas de parlement élu et ceux-là ne représente qu’eux-mêmes. Il faut dire la vérité, ils peuvent avoir à défendre des positions justes à un moment donné, mais la manière, le mot de désignation fait en sorte qu’on n’a pas de parlement, donc il faut revenir à la case départ. Passons au vote, et à partir de ce moment-là, il y aura une majorité, il y aura une opposition qui fera son travail et la majorité ne joue pas par le dictat, non, elle est une majorité parce que le peuple a approuvé son programme. Moi je parle en toute connaissance de cause parce que je sais que le peuple gabonais a approuvé le mien. C’est ce qui me donne une légitimité populaire. C’est ce qui me donne le droit de parler.

Mais ces élections dont vous parlez sont prévues en théorie en août 2025 ?

Je n’y crois pas du tout, c’est ce qui est dit, mais est-ce que c’est ce qui se fera ? Je ne crois pas. Le peuple gabonais est allé aux urnes. Election mal organisée, bien organisée, ça s’est passé par ailleurs, ça n’a pas empêché de valider les résultats des élections, elles sont connues et ce qui justifie le coup d’État militaire c’est que l’élection a été tronquée. La seule question pour qu’il soit conséquent, le CTRI soit conséquent avec lui-même il faut qu’on revienne aux résultats de la dernière élection sur la base d’un programme, là, on réorganisera de manière sérieuse notre société. Le reste, on discute et le Gabon a atteint une situation telle que plus les réformes seront retardées plus la situation va devenir de plus en plus intenable pour la population gabonaise qui souffre déjà à un niveau difficilement estimable. Il faudrait qu’il y ait un sursaut de patriotisme pour qu’on revienne à l’ordre constitutionnel, sinon c’est la catastrophe.

Est-ce que ça veut dire que cette transition est peut-être beaucoup plus fragile qu’on ne le pense et qu’elle pourrait être déstabilisée si la situation continue de s’aggraver ?

Je ne sais pas, je ne suis pas un déstabilisateur, je n’ai rien, je suis professeur de fac, je n’ai pas d’armée, je n’ai pas de nom, mais je dis ce que je perçois et ce que je vois. Je rencontre les Gabonais dans leur majorité, la majorité silencieuse, elle, souffre. Il faut réhabiliter le pays, il faut que les Gabonais regagnent leur dignité. Voilà ce que je dis.

Par :Sébastien Németh/Rfi

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