Ministre conseiller à la présidence : Talon n’a pas violé la constitution, lire la décision de la Cour constitutionnelle

DECISION 24-083 DU 23 MAI 2024

Saisie par requête en date à Abomey-Calavi du 04 février 2024, enregistrée à son secrétariat le 06 février 2024, sous le numéro 0246/042/REC-24, par laquelle madame Miguèle HOUETO, messieurs Landry A. ADELAKOUN, Romaric ZINSOU, Fréjus ATINDOGLO et Conaïde AKOUEDENOUDJE, forment un recours en inconstitutionnalité du décret n°2024-006 du 09 janvier 2024 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du collège des ministres conseillers à la présidence de la République, pour violation du principe d’égalité ;

Saisie par une autre requête, sans date, enregistrée à son secrétariat le 09 février 2024, sous le numéro 0278/043/REC-24, par laquelle le parti politique « Les Démocrates », agissant aux poursuite et diligence de son président, monsieur Boni YAYI, assisté de maître Renaud Vignilé AGBODJO, forme un recours en inconstitutionnalité des décrets n°2024-006 du 09 janvier 2024 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du collège des ministres conseillers à la présidence de la République et n°2024-007 du 09 janvier 2024 portant définition des secteurs d’intervention des ministres conseillers à la présidence de la République, pour violation du principe d’égalité des citoyens devant la loi et non-conformité à la Constitution ;

Saisie par deux autres requêtes, sans date, enregistrées à son secrétariat, les 15 et 16 février 2024, respectivement, sous les numéros 0320/055/REC-24 et 0328/060/REC-24, par lesquelles monsieur Eugène AZATASSOU, 4^”^^ vice-président du parti politique « Les Démocrates », assisté de maître Renaud Vignilé AGBODJO, forme un recours pour non-conformité des décrets sus-cités à la Constitution ; 1/

vu la Constitution ;

VU la loi n°2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle ;

VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ; Ensemble les pièces du dossier ;

Ouï monsieur Michel ADJAKA en son rapport ;

Après en avoir délibéré ;

Considérant qu’au soutien de leurs recours, les requérants exposent que le décret n°2024-006 du 09 janvier 2024 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du collège des ministres conseillers à la présidence de la République énonce, en son article 4 : « Le ministre conseiller est un collaborateur du Président de la
République, R est nommé par décret du Président de la )République, sur proposition des partis politiques membres de la majorité présidentielle à VAssemblée nationale ou soutenant les actions gouvernementales. » ;

Qu’ils relèvent, s’agissant du décret n°2024-007 du (^9 janvier 2024 sus-indiqué, que le Président de la République a assigné aux ministres conseillers des tâches relevant du secteur d’intervention des membres du Gouvernement ;

Que se fondant sur le préambule de la Constitution, par lequel le peuple béninois a réaffirmé son « opposition fondamentale à tout régime politique fondé sur Varbitraire, la dictature, Vinjustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel », ils estiment que le Président de l|a République a opéré une rupture d’égalité, en n’ouvrant la possibilité de faire des propositions de candidats aux fonctions de ministres conseillers qu’aux seuls partis politiques de la majorité présidentielle ;

Que selon eux, en prenant des règles particulières pour favoriser ses partisans, le chef de l’État a violé le principe de la neutralité de l’administration et a créé une discrimination fondée sur l’appartenance politique, alors que la participation à la gestion des affaires publiques est un droit constitutionnel reconnu à tous les citoyens qui ne doit, de ce fait, souffrir d’aucune inégalité ainsi qu’il ressort de l’article 13 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) ;

Qu’en outre, ils allèguent que les ministres conseillers sont des hauts fonctionnaires de l’Êtat dont la nomination ne peut intervenir qu’en conseil des ministres, en application de l’article 56 de la Constitution ;

Or, le décret querellé donne la possibilité au Président de la République de pourvoir aux fonctions de ministres Conseillers sans consulter le conseil des ministres et en dehors de la liste des hauts fonctionnaires de l’État prévue par la loi organique n°2010-05 du 03 septembre 2010 fixant la liste des hauts fonctionnaires de l’État dont la nomination est faite par le Président de la République en conseil des ministres ;

Qu’lls demandent à la Cour, sur le fondement des articles 3, 37 de la Constitution, 28 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle et 28 du règlement intérieur de la Cour constitutionnelle, de dire et juger que le décret querellé viole les articles 26, 56 de la Constitution et 13 de la CADHP ;

Que par lettre en date à Cotonou, du 15 février 2024, enregistrée au secrétariat de la Cour, le 16 février 2024, le conseil du parti politique « Les Démocrates » informe la Cour de son désistement d’instance du recours numéro 0278/043/REC-24 ; j Qu^à l’audience du 23 mai 2024, suite à la présentation du rapport, le conseil du parti politique « Les Démocrates » estime que les décrets attaqués ne sont rattachés à aucune loi ;

Qu”en outre, il fait observer que la dénomination | retenue risque d’instaurer une confusion entre les ministres conseillers régis par les décrets sous examen et ceux prévus par la loi organique n°2010-05 du 03 septembre 2010 sus-visée ;
Considérant qu’en réponse aux différents recours, le Président de la République, par l’organe du Secrétaire général du Gouvernement, observe que, pour conduire son action politique, le Président de la République forme un Gouvernement dont les membres portent, dans la tradition républicaine, le titre de ministre ou de secrétaire d’État ;

Qu’il indique que le Gouvernement n’est pas le seul organe à travers lequel il porte ou oriente son action et qu’il lui est loisible de mettre en place tout cadre afin de répondre convenablement de sa charge ;

Qu’il soulève qu’il ne résulte d’aucune disposition du décret querellé que le ministre conseiller est un haut fonctionnaire au sens de la loi organique n°2010-05 du 03 septembre 2010 qui fixe la| liste des hauts fonctionnaires de l’État ;

Qu’il précise que le ministre conseiller est appelé à exercer une fonction politique et non un emploi supérieur de l’administration publique ;

Que relativement à la discrimination invoquée, il fait valoir que la fonction de ministre conseiller n’est pas un emploi de haut fonctionnaire auquel peuvent postuler des candidats parmi lesquels il procède à des nominations avec une égalité de chance ;

Qu’il soutient que l’initiative de nomination d’un ministre conseiller relève de son pouvoir discrétionnaire et ne peut être assimilée à une discrimination ;

Qu’en conséquence, il demande à la Cour de juger que les décrets attaqués ne sont pas contraires à la Constitution ;

Vu les articles 26, alinéa 1®^, 42, 52, 56, alinéa 3, de la Constitution, 13, point 1, de la CADHP, 25, alinéa 1®^, a et b, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 2 de la loi organique n°2010-05 du 03 septembre 2010 fixant la hste des hauts fonctioinnaires de l’État dont la nomination est faite par le Président de la République en conseil des ministres ;

Sur le désistement d’instance du parti politique « Les Démocrates » du recours numéro 0278/043/RBC-24

Considérant qu’à l’audience du 16 février 2024, le parti politique «Les Démocrates» s’est désisté de son recours enregistré sous le numéro 0278/043/REC-24 ; /

Qu il convient de lui en donner acte ;

Que bien que le recours initié par le parti politique «Les Démocrates», enregistré sous le numéro 0278/043/REC-24, soumet à la Cour un contentieux objectif, dont la principale finalité est de purger l’ordre constitutionnel de tout vice ou de toute irrégularité, il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce d’office, d’autant plus que les trois (03) autres recours, encore pendants, portent sur des moyens identiques à ceux invoqués dans ce recours ;

Sur la jonction des recours numéros 0246/042/REC-24y 0320/05S/RBC-24 et 0328/060/REC-2f

Considérant que les recours enregistrés sous les numéros 0246/042/ REC-24, 0320/055/REC-24 et 0328/060/REC-24 entretiennent un lien de connexité si évident qu’il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice de les joindre sous le numéro 0246/042/REC-24 pour y être statué par une seule et même décision ;

Sur la violation de l’article 56 de la Constitution et de la loi organique n^’2010’05 du 03 septembre 2010

Considérant que l’article 56, alinéa 3, de la Constitution dispose que le Président de la République « (…) nomme également^en Conseil des ministres : les membres de la Cour suprême, les membres de la Cour des comptes ; les ambassadeurs, les envoyés extraordinaires, les magistrats, les officiers généraux et supérieurs, les hauts fonctionnaires dont la liste est fixée par une loi organique. » ;

Qu’en application de ces dispositions, la loi organique n°2010-05 du 03 septembre 2010 fixant la liste des hauts fonctionnaires de l’État dont la nomination est faite par le Président de la République, en conseil des ministres, a été votée et promulguée ;

Que l’article 2 de cette loi organique a fixé la liste des hauts fonctionnaires parmi lesquels figurent, au point 34, les ministres conseillers des ambassades, qui sont des ministres  plénipotentiaires des affaires étrangères pouvant occuper des fonctions de premier conseiller dans les ambassades, alors que les ministres conseillers aux termes du décret n°2024-006, sont des collaborateurs du chef de l’État en service à la présidence de la République ;

Que, du reste, le décret déféré au contrôle de constitutionnalité n’a pas exigé que les candidats à cette fonction soient forcément des hauts fonctionnaires de l’État ;

Qu’ïl en résulte que leur nomination ne nécessite pas l’avis du conseil des ministres ;

Qu’il y a lieu de dire qu’il n’y a pas violation de l’article 56, alinéa 3, de la Constitution ;

Sur les principes de la non-discrimination et de la liberté de participer à la gestion des araires publiques

Considérant que l’article 26, alinéa 1®^, de la Constitution dispose : i’État assure à tous l’égalité devant la loi, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale ;

Que l’article 13, point 1, de la CADHP dispose : «1°) Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire des responsables librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi… » ;

Que, par ailleurs, l’article 25, alinéa 1^^, a et b, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables :

(a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ;

(b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs… » ;

Qu’il résulte du premier texte sus-cité que le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, qu’il consacre, interdit toute discrimination entendue comme l’existence, sans aucun motif objectivement justifié, ni poursuite d’un but légitime, de traitement différencié entre personnes d’une même catégorie ;

Qu’étant un droit fondamental, l’égalité des citoyens devant la loi exige que la loi soit la même pour tous, tant dans son contenu que dans son application ;

Qu”en d’autres termes, ce principe commande que les personnes se trouvant dans la même situation juridique soient soumises au même traitement ;

Que s’agissant des deux dernières dispositions relatives au droit de tout citoyen à participer librement à la direction des affaires publiques, ce droit est certes fondamental, mais il ne peut être invoqué qu’en matière électorale ;

Qu’il ne s’applique donc pas aux nominations politiques ;

Que, par ailleurs, l’articles 42 de la Constitution dispose : Le Président de la République est élu au suffrage universel^ direct. » ;

Que l’article 54 de ladite Constitution prévoit :

Le Président de la République est le détenteur du pouvoir exécutif E est le chef du Gouvernement, et à ce titre, il détermine et conduit la politique de la Nation. Et exerce le pouvoir réglementaire… » ;

Qu’il en résulte, qu’en tant que détenteur du pouvoir exécutif, et en raison de ses prérogatives constitutionnelles, le Président de la République est fondé à nommer ses collaborateurs les plus proches parmi les personnes en qui il a confiance et de fixer leurs attributions ;

Que dès lors, les décrets soumis au contrôle de constitutionnalité n’opèrent ni une rupture d’égalité ni une exclusion des citoyens à librement participer à la direction des affaires publiques ;

Qu’il n’y a donc pas violation de la Constitution ;

EN CONSEQUENCE ,

Article 1: Donne acte au parti politique « Les Démocrates » de son désistement du recours enregistré sous le numéro 0278/043/REC-24.

Article 2 : Ordonne la jonction des recours enregistrés sous les numéros 0246/042/REC-24, 0320/055/REC-24 et 0328/060/ REC 24.

Article 3 : Dit que les décrets n°2024-006 du 09 janvier 2024 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du collège des ministres conseillers à la présidence de la République et n°2024-007 du 09 janvier 2024 portant définition des secteurs d’intervention des ministres conseillers à la présidence de la République ne sont pas contraires à la Constitution.

La présente décision sera notifiée à madame Miguèle HOUETO, messieurs Landry A. ADELAKOUN, Romaric ZINSOU, Fréjus ATINDOGLO, Conaïde AKOUEDENOUDJE, au parti politique Les Démocrates », représenté par monsieur Eugène AZATASSOU, à maître Renaud Vignilé AGBODJO, au Président de la République et publiée au Journal officiel.

Ont siégé à Cotonou, le vingt-trois mai deux mille vingt-quatre, Messieurs Cossi Dorothé SOSSA Président Nicolas Luc A. ASSOGBA Vice-Président Mathieu Gbèblodo ADJOVI

Membre

Vincent Codjo ACAKPO Membre

Michel ADJAKA Membre

Mesdames Aleyy; GOUDA BACO Membre Dandi GNAMOU Membre

Le Président,

Cossi Dorothé SOSSA.-

DCC24-083_23_mai_2024

manasse

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