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« La Dictature du développement », une tribune du journaliste Olivier Allochémé

LA DICTATURE DU DEVELOPPEMENT

En évoquant mardi les privations observées ces dernières années, Patrice Talon a laissé entendre lui-même : « Le recul démocratique est le sacrifice à faire pour conduire le pays au développement». Et d’ajouter qu’en tant que « pays en construction », le Bénin ne pouvait se permettre d’octroyer trop de libertés et de droits aux citoyens, en tout cas pas comme les pays occidentaux qu’il a d’ailleurs nommément cités.

Le droit de grève pris spécifiquement a permis d’illustrer ce recul que lui-même reconnait depuis Paris. Dans la pratique, cette dictature du développement, cette prééminence proclamée du développement sur la démocratie, est pour le moins aléatoire. La démocratie n’a pas été instaurée pour atteindre le développement. Il y a bien des pays développés sans démocratie. Pour ne pas les citer, la Russie, la Chine sans compter les pays du Golfe constituent des exemples typiques de ce que nous disons : ce n’est pas précisément la démocratie qui amène le développement. En l’occurrence, encadrer le droit de grève n’est pas un recul démocratique en soi. Qu’on le veuille ou non, le droit de grève dans des pays très démocratiques comme les Etats-Unis et l’Allemagne par exemple, est si fortement encadré que le travailleur qui choisit de l’utiliser est conscient des conséquences directes que cela engendre sur sa fiche de paie. Cela n’a rien d’antidémocratique que la loi oblige les hôpitaux à s’occuper des malades, même lorsque les médecins sont mécontents. Il n’y a aucune dictature à légiférer avec plus de rigueur sur la création des partis politiques. Il est de nécessité d’éviter que la liberté ne débouche sur l’anarchie.

Bien sûr, cette fièvre du contrôle des libertés se manifeste aussi dans des secteurs vitaux pour l’existence ordinaire des citoyens. C’est le cas de la justice et de la presse. On a beau gloser, le contrôle de l’appareil judiciaire par l’Etat est une dérive. Là où le droit trébuche, c’est-à-dire, là où les juges chargés de protéger nos droits sont aux ordres de quelques-uns, il n’est point de justice. Il n’y a pas de justice sans liberté des juges. Et il n’y a aucun développement lorsque la justice n’est pas libre de contrôler ceux qui gouvernent.

Ne nous leurrons pas. En établissant cette confusion entre démocratie et développement, l’objectif est de montrer en fin de compte que l’une (la démocratie) est inapte à apporter l’autre (le développement). La conférence nationale de 1990, il est vrai, avait semblé établir une équation qui s’est avérée fausse: démocratie égale développement. Mais ceci ne veut nullement dire que dictature égale développement. L’histoire récente de notre pays nous invite à plus de prudence. Car, en 1972, lorsque le commandant Mathieu Kérékou parvenait au pouvoir, il avait eu pratiquement les mêmes réflexes : mettre un terme à la démocratie, dissoudre les partis politiques, enfermer leurs leaders, contrôler les médias et l’appareil judiciaire…Justement, pendant une douzaine d’années, le régime du PRPB enregistra des résultats économiques qu’aucun autre régime n’a pu avoir jusqu’aujourd’hui. C’est la période où le Dahomey, devenu Bénin, a connu une croissance à deux chiffres, un boom agricole et surtout industriel, le plein emploi, le tout couronné par une accalmie politique contrastant avec le bouillonnement observé au cours des années précédentes.

Inutile de rappeler comment tout cela s’est achevé. La mainmise sur la justice a fini par installer dans les arcanes du pouvoir des intouchables qui ont tôt fait d’ériger leurs privilèges en droits. Le bâillonnement de la presse, ne pouvait qu’empêcher les barons de l’heure de voir les réalités du vrai pays. On chantait jour et nuit les mérites du grand camarade de lutte, ses services de renseignements ne lui fournissaient que ce qu’il voulait entendre… Résultat, malgré sa rigueur, le régime militaire s’effondre en 1989 et ne pouvait qu’accepter une conférence nationale souveraine.

Tout ceci pour dire quoi ? Que la dictature dite du développement n’est pas tenable à long terme. Dans un pays à alternance au pouvoir, les seigneurs de dix ans finissent par partir pour laisser place à d’autres. Et quels que puissent être leurs liens par le passé, ceux qui viennent ne peuvent préserver toutes les pratiques de ceux qui partent. La dictature de développement n’est qu’une construction éphémère, lorsqu’elle oublie les droits fondamentaux de nous tous.

Olivier Allochémé

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