La population mondiale a triplé de 1950 à 2015. Pendant ce temps, celle du Bénin s’est multipliée par 7 alors que la création de la richesse nationale n’a pas suivi le même rythme. Pour reculer la pauvreté qui en résulte, l’État décide de questionner le génie béninois pour repositionner la démographie dans le sens du développement du pays. Cependant, ce débat prévu pour septembre prochain suscite déjà des antagonismes. Mais est-ce qu’un débat national sur la croissance démographique est-il moralement justifié?
Une date, septembre 2023! Nous débattrons de notre qualité de vie à l’aune de la croissance démographique. La procréation et le bien-être familial seront mis en débat public. Un sujet sensible relevant, à priori, de la vie privée.
Aux assises, l’on évoquera la taille du ménage, la pauvreté, la régulation des naissances, le bonheur familial; notions subjectives qui peuvent cliver et fâcher. D’ailleurs, certains esprits s’échauffent déjà. Des accusations et thèses complotistes fusent. Pourtant, à en croire M. Wilfried Houngbédji, Porte-Parole du Gouvernement; l’État convoque moins un match de catch qu’une rencontre où les Béninois mutualiseront leurs réflexions afin de concilier dynamique démographique et qualité de vie.
Dans cette tribune, je rappelle quelques faits historiques susceptibles de nuancer notre positionnement par rapport au lien entre la démographie et le développement. L’exercice pourrait nous aider à tirer le meilleur parti des prochaines assises indépendamment de nos postures doctrinaires sur les approches de développement.
Avant tout, admettons que le fait de rechercher un équilibre entre la taille d’une population et les ressources disponibles pour satisfaire à ses besoins; est un réflexe aussi vieux que l’humanité. Dans « Histoire de la contraception de l’antiquité à nos jours », McLaren démontre que la planification familiale est une pratique bien ancienne. Selon cet auteur, Égyptiens, Grecs et Romains anciens utilisaient déjà l’allaitement prolongé, la magie, le coït interrompu à titre de moyens de contrôle des naissances. Aussi, recouraient-ils aux méthodes radicales telles que l’homosexualité, l’infanticide et l’abandon d’enfants pour maitriser l’accroissement de la population. La question de maitrise de la démographie était si importante dans la Grèce antique qu’Aristote proposa « qu’il faut, de fait, avoir fixé une limite au nombre d’enfants à procréer; et si, par la suite de l’union de tel ou telle malgré ces règles, quelque enfant est conçu, on doit, avant qu’il y est sensibilité et vie, pratiquer l’avortement ». Et ce, pour éviter la dispersion de l’héritage. Donc, le contrôle des naissances poursuit explicitement un but matérialiste.
Ces faits renseignent bien sur l’existence de la planification familiale dans l’antiquité et la détermination qu’on y mettait pour parvenir à ses fins. De ce fait, l’on peut retenir que la volonté d’adapter la croissance démographique aux ressources disponibles a traversé toutes les civilisations et cultures sans égard pour les moyens de la concrétiser. C’est un réflexe ancien et existentiel. Le fait nouveau est, sans doute, la bataille idéologique autour de l’ordre de priorité entre la maitrise de la démographie et les investissements dans le processus de développement. Ainsi, la question serait : faut-il ralentir le rythme d’accroissement de la population pour améliorer la qualité de vie ou créer davantage de richesses pour y parvenir? Il est, certes, difficile d’y répondre. Néanmoins, nous devons dépasser la confrontation idéologique qui s’y associe afin de trouver la réponse adaptée à notre contexte.
Fécondité et développement, une corrélation qui incite à la retenue
Depuis l’annonce des assises nationales sur la fécondité, l’on assiste à une prolifération d’éléments audiovisuels sur les réseaux sociaux où certaines personnes condamnent l’idée. Pour les uns, on n’a pas besoin de limiter les naissances avant de développer un pays. Il suffit juste d’investir. Pour d’autres, c’est un complot de l’Occident mis en œuvre par ses relais locaux parce que les pays d’Asie sont plus peuplés que le nôtre mais ils se développent. Donc, la croissance démographique ne peut pas être un frein au développement etc… Pourtant, l’analyse de la relation entre la fécondité et le développement exige plus de subtilité et j’y reviendrai. Mais avant, commençons par dédramatiser les critiques formulées au sujet de l’initiative gouvernementale; celle d’ouvrir le débat sur la perspective d’arrimer notre croissance démographique au processus de développement national.
En réalité, l’opposition à l’idée de réguler les naissances à des fins de développement remonte à plusieurs décennies. Elle date de l’époque où les occidentaux ont posé, de façon inappropriée, les problèmes de développement en termes démographiques. Depuis lors, deux blocs idéologiques se font face. D’un côté, se rangent ceux qui souhaitent un contrôle délibéré des naissances pour revigorer le processus de développement. Et de l’autre, leurs opposants pour lesquels; la baisse de fécondité devrait être une conséquence du développement économique d’où le slogan « la meilleure pilule, c’est le développement ». L’on a ainsi deux visions opposées du développement, soit l’approche de développement reposant sur la maitrise démographique et celle fondée sur les investissements. Pour les besoins de la cause, admettons la façon dont je formule la seconde approche tout en ayant à l’esprit qu’on a besoin d’investissements pour le développement, peu importe l’approche considérée.
Cette opposition d’approches a atteint son point culminant à la conférence internationale sur la population et le développement tenue à Bucarest en 1974. La conférence programmée initialement pour adopter un plan mondial d’action sur la population et le développement a très vite tourné à l’affrontement politique entre les pays capitalistes emmenés par les États-Unis et les autres notamment la Chine, les pays non alignés et les pays sous influence de l’URSS. Les premiers apeurés à l’idée de devoir partager leurs ressources avec 6 à 7 milliards d’âmes en 2000, réclamaient un plan mondial d’action pour réduire les naissances tandis que les autres pays demandaient plus de justice sociale dans la répartition des ressources de la planète. Finalement, le plan d’action adopté à la fin des assises n’était qu’une pâle copie du document issu des travaux harassants des comités préparatoires thématiques de la Conférence. Néanmoins, l’unanimité était faite sur l’interdépendance de la démographie et du développement quitte à ce que chaque pays décide de l’ordre de priorité selon ses réalités contextuelles. Cependant, les choses n’en restèrent pas là. Dix ans plus tard, coup de théâtre, les antagonismes autour de l’idée de réduire les naissances à des fins de développement se sont réduits à la Conférence de Mexico. Entretemps, la Chine avait réalisé sa transition démographique en passant de près 6 enfants par femme à 2,7 entre 1967 et 1978. Une prouesse historique! De plus, les délégués chinois arrivèrent à Mexico en ayant en poche la politique de l’enfant unique implantée en 1980 par le Parti Communiste. Ce revirement inédit de la Chine qui proclamait, en 1974 à Bucarest, « l’avenir radieux » des peuples prolifiques; surprit plus d’un. Les Américains, pour leur part, reconnurent finalement que la baisse des naissances n’est pas une condition suffisante pour le développement avant qu’un plan mondial d’action sur la population et le développement soit adopté en 1994 à la Conférence du Caire. Le plan mondial d’action du Caire met l’accent sur les droits à la santé reproductive des couples et des individus. Aussi, incite-t-il les gouvernants à mobiliser les moyens nécessaires pour permettre aux personnes désireuses de planifier les naissances en vue d’améliorer leur qualité de vie.
A posteriori, la Chine a validé l’approche de développement basée sur la réduction des naissances même si l’on conteste sa stratégie de planification familiale. Une chose est sûre. La transition démographique a sérieusement profité à l’économie chinoise. Parce que l’essor économique de ce pays coïncide avec l’époque des plus bas taux de fécondité de son histoire récente. Alors qu’elle implantait sa politique de l’enfant unique, la Chine s’est pratiquement développée en une génération. Son économie a fait un bond qualitatif de 1980 à 2010 avec une croissance moyenne de 10% par an et un quadruplement du revenu par habitant. Mais face aux perspectives de ralentissement de l’économie chinoise et au vieillissement de la population, le Parti Communiste revient sur la politique de l’enfant unique en l’assouplissant en 2013 avant d’y mettre un terme deux ans plus tard. Toutefois, les gains en termes de relèvement du taux de fécondité restent encore très modestes. La propension matérialiste et le coût d’opportunité élevé des enfants liés à l’émergence économique; ont sans doute modifié l’ordre des priorités chez les Chinois. Ironie du sort, la Chine a maintenant besoin de bébés pour son économie. De quoi requinquer ceux qui estiment que le développement est le meilleur contraceptif. Toutefois, il est intéressant de constater qu’à long terme; les deux approches de développement conduisent à la baisse de fécondité. Et l’on ne peut plus raisonnablement accuser ceux qui réclament moins de naissances pour relancer le développement; d’être responsables du déclin démographique à long terme. Parce que le développement économique demeure un outil de réduction des naissances jamais égalé. Un examen rapide du nombre d’enfants par femme dans les pays développés démontre éloquemment que l’amorce du déclin démographique à laquelle les Chinois sont confrontés aujourd’hui, n’est pas une exclusivité de leur pays. À cette étape, retenons qu’à long terme; les deux approches de développement révèlent une parité d’effet en ce qui regarde le déclin démographique. Examinons dès à présent l’approche de développement par les investissements.
Les défenseurs de cette approche dénient à la croissance démographique toute responsabilité dans les problèmes économiques. Selon eux, le sous-développement d’un pays est la faute des dirigeants politiques qui manquent à leurs obligations de consentir les investissements nécessaires. Il s’agit d’une thèse classique, des éléments de langage pour les campagnes électorales dans la mesure où l’approche pose plus de défis de mobilisation de ressources surtout dans un contexte de forte fécondité. Nous pouvons tester la validité de cette affirmation au moyen des arguments suivants.
D’abord, admettons que très peu de pays sous-développés ont amorcé leur essor économique dans un contexte de forte fécondité. Presque tous ont coché la case de réduction des naissances avant de déclencher le processus de développement. Ce préalable non suffisant mais essentiel induit la transformation de la structure d’âge de la population avec un avantage numérique en faveur de la population active. Ainsi, la réduction des coûts de prise en charge des personnes dépendantes notamment des enfants et des personnes âgées; permet aux ménages et à l’État d’épargner et de contribuer substantiellement au financement du développement. De plus, la bonne capacité de mobilisation des ressources intérieures crédibilise l’État dans son élan de recherche des financements additionnels à l’extérieur. Et ce, parce que nul ne prête son argent à une personne morale ou physique qui est incapable d’épargner. Du coup, les défenseurs de l’approche de développement par les investissements doivent être les premiers à se féliciter de la capacité d’épargne associée à la réduction des naissances. Malheureusement, leur approche de développement se prive de l’opportunité de profiter de l’épargne intérieure du fait de maintien d’une fécondité élevée; la rendant trop dépendante des financements extérieurs. Un choix extrêmement risqué du fait de son impact sur la dette publique si l’on parvient à mobiliser les financements.
D’autre part, à la faible capacité d’épargne intérieure liée à la fécondité libre vient s’adjoindre l’assujettissement de l’État et des ménages aux dépenses contraintes sans cesse grandissantes pour maintenir l’accès aux services sociaux dont la santé, l’éducation, l’eau etc… Une situation qui compromet davantage la possibilité de l’épargne nationale, et remet constamment en cause les efforts de structuration de l’économie. Aussi, savons-nous que le développement nécessite des investissements structurants conséquents dans les infrastructures de transports, les télécommunications, l’énergie etc… Or une fécondité incontrôlée peut anéantir de façon cyclique les efforts étatiques dans certains domaines. Prenons, par exemple, le cas de l’énergie qui est un facteur clé de développement. Au Bénin, nous n’avons pas encore atteint l’autosuffisance énergétique. Cependant, la pression démographique nous oblige à transférer une partie de l’énergie disponible pour répondre aux besoins des nouvelles infrastructures sanitaires, éducatives et résidentielles. Ainsi, nous réduisons la quantité d’énergie mobilisable pour les unités de production quitte à saper l’attractivité de notre pays aux yeux des investisseurs potentiels. On peut mobiliser à souhait les faiblesses de l’approche de développement par les investissements. Toutefois, le but de l’exercice n’est pas de mettre une approche de développement en face de ses propres contradictions. Je veux simplement nous rappeler la délicatesse de la corrélation entre fécondité et développement afin que nul ne soit voué aux gémonies en raison de sa préférence pour une approche. D’où l’importance d’avoir un débat serein et franc pour trouver les moyens d’améliorer notre qualité de vie.
Inquiétudes et débats sur le taux de fécondité au Bénin, historique et pertinence
Environ 12,6 millions d’âmes vivent aujourd’hui dans notre pays. En 1950, elles n’étaient qu’un million et demi avant de passer à dix millions et demi en 2015. En d’autres mots, entre 1950 et 2015, la population béninoise s’est multipliée par 7. Pendant ce temps, celle du monde a seulement triplé. Au Bénin, l’indice synthétique de fécondité est actuellement 5,7 enfants par femme. Du coup, notre pays se retrouve parmi les 15 pays ayant les plus forts taux de fécondité dans le monde. Néanmoins, est-ce qu’à 12 millions seulement; nous sommes si nombreux au point de discuter pour trouver un point d’équilibre entre le rythme d’accroissement de la population et les ressources auxquelles nous pourrions prétendre?
En effet, nul n’ignore que nous n’exploitons aucune ressource minière. De plus, notre économie est moins robuste que la pression démographique. Pour lutter contre la pauvreté qui en découle, notre pays a adopté en 1996 une déclaration de politique de population. Et l’un des objectifs principaux de l’initiative est de réduire les naissances pour améliorer la qualité de vie dans notre pays. À l’époque, on s’attendait à une chute du nombre moyen d’enfants par femme à 4,8 en 2015 puis à 3,9 à l’horizon 2027 alors qu’il était à 6; un niveau désespérément élevé.
Pour ce faire, la nécessité de mener des actions pertinentes afin de réduire les naissances a été réaffirmée lors de la relecture de la politique en 2006 puis en 2013. C’est dans ce cadre qu’a été implanté le plan national de repositionnement de la planification familiale de 2011 à 2015. Un autre plan est en cours d’exécution. Cependant, l’utilisation des moyens contraceptifs a été augmentée de manière marginale. La pression démographique n’a jamais été aussi forte. Et la pauvreté devient un adversaire plus redoutable parce que nous sommes de plus en plus nombreux. Dans l’absolu, il est choquant d’entendre cela parce qu’à 1,4 milliard d’âmes de chaque côté, Chinois et Indiens vivent de mieux en mieux. Donc, nous pouvons prétendre à une meilleure qualité de vie sans qu’il soit besoin de baisser la fécondité. Un tel raisonnement est tout à fait erroné dans la mesure où les effectifs impressionnants des Chinois et Indiens cachent une réalité économique qu’il faut savoir lire. D’abord, soulignons que quatre pays du groupe des BRICS font partie des 10 pays les plus peuplés du monde. Je pense à la Chine, à l’Inde, au Brésil et à la Russie. N’est-ce pas chose étonnante? Des pays populeux qui se développent avec des taux de pauvreté en deçà du nôtre. De plus, il n’échappe à personne qu’ils sont traversés par des systèmes politiques différents allant de la « démocratie » à « l’autocratie ». La taille de la population est également très variable dans ces pays, soit 1,4 milliard pour la Chine et l’Inde; 143 millions pour la Russie et 214 millions pour le Brésil. Chaque pays a aussi ses propres caractéristiques. Toutefois, si l’on part de la prémisse selon laquelle les mêmes causes produisent les mêmes effets; il y a fort à parier que l’émergence économique de ces pays dépende d’une cause commune à l’ensemble. Là-dessus, il n’y aucun mystère. La faible fécondité est la caractéristique commune à tous ces pays. Du coup, ils bénéficient du dividende démographique c’est-à-dire de la croissance économique liée au renforcement de la population active au détriment de celle à charge. Avec des taux de fécondité faibles, 1,3 enfant par femme pour la Chine, 1,7 pour le Brésil, 1,5 pour la Russie; la population active dépense moins pour l’entretien des enfants et augmente ses revenus en consacrant plus de temps au travail productif. Logiquement, la qualité de vie augmente et la pauvreté recule. Avec ses 5,7 enfants par femme, le Bénin n’est pas en mesure d’offrir une qualité de vie élevée parce que la population à charge est plus importante que celle qui crée la richesse. Pour cette raison, il faut vraiment discuter pour trouver les moyens d’inverser la tendance. La convocation des assises nationales est une exigence sociale et non un caprice de nos gouvernants. Nous devons anticiper sur les difficultés qui se profilent. Nous vivons dans un monde qui devient de moins en moins sûr. Les grandes puissances accroissent leurs budgets militaires en prélude aux conflits armés en perspective. De plus, les résultats des programmes économiques nationaux dépendent désormais moins du sérieux que nos gouvernants y mettent que des turbulences internationales. Dans un contexte international aussi fragile, nous devons repenser sérieusement notre mode de production et de reproduction.
Dr Aymard Aguessivognon, PhD
Spécialiste des questions de population