Entretien avec l’ancien élu républicain Adam Kinzinger, bête noire de Donald Trump, et auteur de Renegat, un livre dans lequel il raconte comment l’ex-président américain, de nouveau candidat à la Maison Blanche, a pris le contrôle du parti républicain.
Il est l’un des rares élus républicains à avoir osé tenir tête à Donald Trump après l’assaut du Capitole de Washington le 6 janvier 2021. Et il l’a payé de sa carrière. Représentant de l’Illinois à la Chambre de 2011 à 2023, Adam Kinzinger fait partie des dix seuls élus conservateurs à avoir voté en faveur de l’impeachment de l’ancien président. Il a ensuite siégé au sein de la Commission d’enquête parlementaire sur le 6-Janvier. Résultat, Donald Trump en a fait sa bête noire. Considéré comme un traître au sein de son parti, Adam Kinzinger, 45 ans, a préféré jeter l’éponge et ne pas se représenter aux dernières législatives en 2022 aux États-Unis.
RFI : Il y a quelques années, vous étiez l’une des figures montantes du parti républicain. Aujourd’hui, vous vous considérez vous-même comme un renégat au sein de votre propre famille politique parce que vous avez tenté de stopper Donald Trump après le 6-Janvier. Qu’est-ce que votre histoire nous dit de l’état du parti républicain aujourd’hui ?
Adam Kinzinger : Il m’a fallu un certain temps pour le digérer. Je suis passé du statut de vedette au sein du parti à celui paria. Ça demande un petit temps d’adaptation. Maintenant, je m’y suis fait et je suis complètement engagé dans ma nouvelle mission. Mon parti est très mal en point et je redouble d’efforts pour combattre ce populisme. Je me souviens du moment où je me suis lancé en politique. Il y avait déjà quelques petites factions de fous, c’est vrai. Je pense que c’est le cas dans tous les partis politiques. Mais je les ai vus prendre de l’importance et cela s’est accéléré avec Donald Trump. Aux élections de 2014, nous arrivions encore à repousser les fous. Nous avions encore l’impression que la normalité l’emportait. Et quand Donald Trump est arrivé, il a mis le feu aux poudres. Imaginez comme un feu qui sommeillait, prêt à repartir, avec de petites braises. Donald Trump est arrivé et il a jeté de l’huile dessus.
Vous avez grandi dans un milieu conservateur et évangélique du Midwest, vous êtes un ancien pilote de la Navy vétéran de l’Irak et vous racontez dans votre livre que des amis, des membres de votre famille et même d’anciens frères d’armes vous ont tourné le dos parce que vous avez siégé au sein de la Commission d’enquête parlementaire sur le 6-Janvier. Comment expliquez-vous cela ?
C’est comme si leur cerveau était infecté. Un jour, celui qui était mon copilote pendant la guerre, quelqu’un avec qui j’ai volé en Irak, m’a envoyé un texto pour me dire : « J’ai honte d’avoir volé avec toi ». Il faut imaginer à quel point j’étais proche de lui. Nous avons volé ensemble pendant une guerre. Je me demande encore comment il a pu se réveiller un matin et décidé de m’envoyer ce texto. Un autre jour, un membre de ma famille éloignée a envoyé au domicile de mes parents une lettre certifiée que je devais signer pour me déshériter. Ils me disaient que j’étais entré dans « l’armée du diable ». J’ai toujours cette envie de me battre pour le mouvement conservateur. Mais je suis triste de voir comment le patriotisme des gens est manipulé.
Vous vous considérez comme un « républicain pro-démocratie ». Est-ce que votre frange « pro-démocratie » a perdu la bataille face à Donald Trump dont les quatre inculpations n’ont fait que renforcer la popularité ?
Nous avons perdu la bataille. Mais nous n’avons pas perdu la guerre. Je reste optimiste à long terme. Aujourd’hui, ils [les partisans de Donald Trump, NDLR] ont gagné le parti. C’est vrai et c’est vraiment triste. Leurs mensonges sont insoutenables. Mais la vérité finira par l’emporter. Sans le travail de la Commission d’enquête parlementaire sur le 6-Janvier, Donald Trump n’aurait pas été inculpé. C’est un fait. Lorsque nous avons présenté nos conclusions, le ministère de la Justice s’est dit : « Oh, merde, c’est vrai. C’est énorme ». Et il a commencé son enquête. Je sais donc que ce travail est important. Je sais aussi qu’il faut parfois dix ou vingt ans pour pouvoir regarder en arrière et juger quelque chose avec précision. Je suis convaincu que dans dix ou vingt ans, il n’y aura plus grand monde pour admettre avoir soutenu Donald Trump. Mais la question, c’est de savoir l’ampleur des dégâts avant d’arriver là.
Donald Trump domine les sondages depuis des mois. Pensez-vous qu’il peut gagner cette élection présidentielle face à Joe Biden ? Et si oui, à quoi ressemblerait un second mandat Trump ?
C’est un danger. Je pense qu’au printemps, Donald Trump pourrait se retrouver en prison. Mais tous les autres membres républicains du Congrès diront qu’il s’agit d’une chasse aux sorcières, d’un système de justice à deux vitesses, et les gens le croiront. Il est tout à fait possible que Donald Trump gagne la présidentielle. Et si Trump gagne, la démocratie américaine risque de ne pas survivre. Il faut bien le comprendre.
Je vais prendre une image. Sur l’autoroute, vous avez des glissières de sécurité pour que, lorsqu’une voiture les heurte, elle ne sorte pas de l’autoroute. Ces glissières de sécurité peuvent encaisser un choc. Mais si vous ne les réparez pas et qu’une autre voiture les heurte, cette fois, elle les arrachera. Et c’est exactement ce qui s’est passé le 6-Janvier. La démocratie a tenu, mais elle ne tiendra peut-être pas avec une seconde présidence de Donald Trump. S’il est élu, il va mettre en place des gens qui ne tiendront pas ces glissières de sécurité. Et je suis très inquiet à ce sujet.
Cette élection est donc l’élection la plus importante de notre époque. C’est amusant, parce qu’on dit toujours que c’est l’élection la plus importante de notre vie. Mais cette fois, je pense que c’est l’élection la plus importante, je dirais, depuis la Seconde Guerre mondiale, peut-être même depuis la guerre de Sécession, parce que je pense que l’enjeu est tout aussi important.
Par :David Thomson/Rfi