De passage, il y a quelques jours, au Bénin où il a pu rencontrer Reckya Madougou, détenue à la prison civile d’Akpro-Missérété, un peu avant la campagne pour la présidentielle du 11 avril 2021, Me Antoine Vey s’est confié à nos confrères de Sikka Tv. Dans l’entretien, l’Avocat français a fait savoir que dans les prochains jours, sa cliente fera valoir sa voix. Dans le dossier, il parle des conditions de détention de l’ancienne ministre, qui serait « victime d’un coup monté ». Même si le praticien du droit clame qu’il n’est pas dans « un combat ni politique ni médiatique » avec l’Etat béninois, il pense tout de même que « l’affaire pose la question de l’image de la justice du Bénin notamment sur la scène internationale ». Lire l’intégralité de l’entretien.
Sikka Tv : Le 3 mars 2021, Reckya Madougou qu’on ne présente plus dans le landerneau politique au Bénin, dans son ambition d’occuper le fauteuil présidentiel à la dernière présidentielle au Bénin, venait d’être non homologuée si je peux le dire ainsi et a été arrêtée du retour d’un meeting à Porto-Novo. On apprendra plus tard qu’elle fomentait un coup pour déstabiliser le pays. Elle séjourne depuis en prison. Des violations de ses droits ont été dénoncées par la suite. Que retenir de ce dossier à l’étape actuelle des choses? Nous recevons l’un de ses avocats pour en savoir davantage. Maître Vey bonjour. Vous êtes avocat pénaliste au barreau de Paris, co-fondateur 2016 du cabinet Dupont Moretti Éric et associés, vous défendez Reckya Madougou. Déjà dites-nous, est-ce qu’à l’heure actuelle, vous connaissez déjà à quelle date votre cliente sera devant les tribunaux?
Maitre Antoine Vey : Non, et c’est une petite partie du problème. L’affaire de Reckya Madougou pose la question de l’image de la justice du Bénin notamment sur la scène internationale et auprès j’imagine, des béninois aussi. Voilà une femme qui pendant 48 ans n’a posé aucun problème à la justice. Elle a occupé des fonctions imminentes. Elle a brigué la possibilité de concourir à une élection présidentielle et du jour au lendemain, elle a été incarcérée dans des conditions extrêmement difficiles sur lesquelles, j’espère que nous reviendrons. Depuis, elle n’a pas la lisibilité d’un calendrier de procédure clair et nous ne savons pas lorsqu’elle sera interrogée, si elle pourra faire valoir ses droits dans une procédure équitable ce que nous souhaitons. Parce que si elle pouvait faire valoir ses droits de manière équitable, alors l’opinion publique pourrait se rendre compte de la vacuité totale de ce dossier.
Donc à l’heure actuelle est-ce qu’il y a des pièces qui existent parce que d’aucuns disent le dossier est vide comme vous l’avez insinué. Mais l’Etat béninois, le gouvernement tient dur qu’il y a cas même les faits qui sont avérés
Une des raisons de ma visite ici et je suis heureux d’avoir pu rendre visite à ma cliente, je suis heureux qu’on m’ait délivré un permis et un visa pour le faire. Une des raisons de ma visite ici est justement de pouvoir m’attaquer au fond du dossier et de pouvoir regarder ce qu’il y a dans le dossier et aussi ce que notre cliente a à dire. Elle va dans les prochains jours officialiser un recours, saisir l’autorité judiciaire béninoise, pour expliquer quelle est sa version des choses. Et sa version des choses, c’est que dans un premier temps elle a été victime d’un coup monté et que aujourd’hui ce coup monté est instrumentalisé par l’autorité judiciaire, à moins qu’elle ne se trompe à son corps défendant et ce qui justifie une incarcération qui est tout à fait disproportionnée et non nécessaire. Il serait tout à fait possible à Reckya Madougou de se défendre dans un cadre hors détention et il ne faut pas tomber dans la volonté d’avoir de l’affichage. Encore une fois ce n’est pas une question de personne, nous ne sommes pas dans un combat ni politique ni médiatique. On est dans la volonté de faire respecter les droits. Et les droits, c’est les droits de tout individu dans le cadre de la construction du Bénin, dans le cadre des lois du Bénin et dans le cadre des conventions internationales. Aujourd’hui, ce qu’elle demande c’est pouvoir bénéficier d’une procédure équitable et avoir des conditions de détention d’abord dignes et puis en réalité lorsque ces conditions de détention ne se justifient pas, pouvoir sortir, pouvoir s’expliquer et se défendre. Donc dans les prochains jours, elle fera valoir sa voix, qui j’espère sera relayée largement et permettra à chacun de se faire une opinion sur les conditions de son arrestation.
Parlant de ces conditions de détention, on avait appris entre temps qu’il était difficile de lui rendre visite. Vous avez dit que vous avez pu la rencontrer, elle séjourne dans une cellule dotée de caméra pour la surveiller. Que dites-vous de tout ça ? Qu’avez-vous observé surplace ?
Déjà j’ai observé que j’avais le droit de la voir avec mon confrère dans des conditions qui nous ont permis un échange même si cet échange n’était pas proprement parler confidentiel et qu’il est intervenu aux travers d’une vitre, ce qui n’était peut-être pas nécessaire. Cependant, j’ai pu la voir et discuter avec elle et me rendre compte des difficultés de sa détention. Vous savez la détention, ça passe parfois par des petites choses. Elle a été privée de certaines petites choses. Nous avons demandé à l’autorité judiciaire de lui les donner et on verra dans les prochains jours, si notre demande reçoit ou non un écho. La chose qui est difficile à vivre pour elle, c’est qu’elle est complètement coupée de son entourage et de ses proches. Bien sûr une personne de sa famille peut lui apporter de la nourriture à quelque période par semaine, mais elle ne peut pas d’entretenir avec eux, communiquer pour savoir par exemple comment va les enfants, pour repasser des messages à son entourage et puis globalement, pour essayer de se défendre et de communiquer plus efficacement sur sa situation. Donc, il y a une situation judiciaire que je n’ignore pas, je crois que l’autorité judiciaire a à cœur de ne pas la traiter différemment d’autre. Mais on peut aussi essayer de militer, pour qu’elle ait des conditions de détention plus dignes et surtout la possibilité de communiquer avec son entourage d’une part, et ensuite de se défendre effectivement d’autre part. Parce que c’est quelqu’un qui a beaucoup de choses à dire et beaucoup de choses à dénoncer, notamment au coup monté dont elle est victime aujourd’hui.
On a écouté un Ministre désormais ancien Ministre de la République qui portait la parole du gouvernement dire à l’époque qu’une prison n’est pas un hôtel 5 étoiles. Est-ce que ce qu’on reproche à Reckya Madougou pourrait justifier ces conditions de détention? Des personnes de votre expérience qui sont accusées de terrorisme pourraient-elles se retrouver dans ces cas-là ?
Déjà, l’enjeu de tout ça ce n’est pas de crisper la situation. Personne n’a à gagner dans la détention de Reckya Madougou sur la scène internationale. Nous, nous ne venons pas dans une approche je dirai faussement combative. On vient pour demander le respect des droits et ces droits ils sont reconnus, ce n’est pas de polémiques. Tout le monde a intérêt à ce que les droits soient reconnus, à ce que l’Etat de droit soit reconnu. Aujourd’hui, quelle que soit la gravité de l’accusation, on sait très bien que Reckya Madougou n’est pas quelqu’un qui cause une difficulté sur le plan de la dangerosité. Elle a quand même occupé la fonction de Ministre de la justice elle-même, c’est une femme intègre, une femme qui ne pose aucun danger à l’appareil d’État. Donc pourquoi ne peut-elle pas, par exemple, être soumise à un contrôle judiciaire, pouvoir rencontrer son entourage et ses avocats plus librement et pouvoir s’expliquer dans le cadre d’une audience contradictoire et publique dans laquelle chacun peut se faire son propre point de vue. Ça c’est une vraie question qui fait qu’il ne s’agit pas de critiquer ici la politique ou le pouvoir du Bénin, ce n’est pas mon cadre je suis un avocat pas un politique. Il s’agit de dire que malheureusement, si nous ne recevons pas suffisamment de garanties quant à l’état de droit, il faut s’en référer aux normes internationales et aux organes internationaux et à la communauté internationale. C’est assez négatif et d’autre part nous espérons que d’ici quelques semaines, il y aura des signes de décrispation qui permettront encore une fois non pas d’arrêter cette procédure si effectivement elle est l’objet d’une accusations, mais du moins de pouvoir s’expliquer et de pouvoir faire valoir nos arguments qui j’en suis sûr conduiront à l’arrêt des charges. Parce que cette affaire encore une fois est une affaire montée de toute pièce dans laquelle, les preuves n’existent pas. Donc une justice qui se déciderait alors qu’elle n’a pas de preuves ne serait pas une justice et on peut dans cette situation être soit pessimiste soit optimiste. Permettez-moi encore une fois d’être optimiste dans cette affaire.
On comprend que vous voulez rester dans votre posture d’avocat, vous ne voulez pas aller sur le terrain politique. Mais la réalité est quand même là. De par le passé, tel que l’Etat béninois s’est comporté vis-à-vis du respect des droits à l’international, on a des échos qui viennent. Vous vous adressez à cette autorité judiciaire au Bénin, espérant que les droits de votre cliente soient respectés. Est-ce que vous n’avez pas cette appréhension de rencontrer les mêmes obstacles et finalement d’avoir en face les gens qui répondent tout le temps par la négation?
J’espère que non. Parce que d’abord j’espère que les gens changent, que les systèmes changent et que les démocraties changent. Il y a une élection présidentielle qui s’est tenue, il y a un nouveau mandat qui s’ouvre et je pense que les gens qui sont au pouvoir auront à cœur de faire valoir une image positive au Bénin, aussi sur le terrain des droits et des libertés. Donc il ne faut pas transformer un procès en tribune politique sinon il faut faire politique. Aujourd’hui, ce que nous demandons est que le Bénin soit un pays dans lequel les citoyens béninois puissent savoir que leurs droits sont respectés, quelles que soit les accusations auxquelles ils doivent faire face. Madame Madougou a un dossier solide, c’est une personne solide et c’est une personne aujourd’hui qui doit bénéficier d’une procédure juste. Voilà le message que nous avons à faire passer aujourd’hui. Aujourd’hui, nous allons travailler pour faire valoir les éléments qui sont les siens, pour dénoncer de manière public l’acharnement dont elle est victime depuis quelques mois mais on ne peut pas ne pas espérer que ses droits vont prévaloir rapidement et que la situation va s’améliorer.
Au cas où vous n’aurez pas gain de cause, vous feriez quoi ?
J’espère que nous aurons gain de cause. Les choses ne doivent pas s’analyser en dehors d’un cadre qui est que, aujourd’hui en l’absence d’une charge véritable, à raison du cadre constitutionnel qui est celui du Bénin et en raison de la présence de la Communauté Internationale pour vérifier le respect des droits, on a tout espoir que les choses évoluent positivement.
Déjà Oui, vous êtes dans votre posture d’avocat, on espère pour vous que vous allez gagner. Vous ne voulez pas du tout envisager l’option l’Etat politise
Non vous savez, je ne veux pas rentrer dans un combat qui consisterait ensuite pour des autorités constituées qui en plus viennent de former un nouveau gouvernement. Je ne veux pas leur donner l’idée que nous cherchons à faire un match de boxe. Pas du tout, on cherche à évoquer publiquement une situation sur laquelle l’opinion publique doit avoir son avis. Aujourd’hui, je le dis, dans quelques jours, Reckya Madougou et ses avocats feront valoir quelle est leur position sur les faits. Si l’appareil réagit positivement alors, il y aura une procédure. Si l’appareil ne réagit pas positivement, alors nous déciderons que nous ne pouvons pas faire valoir les droits de notre cliente et nous serons dans une posture beaucoup plus négative. Encore une fois, je crois que les plus hautes autorités béninoises ont à cœur d’afficher une image positive et notamment sur le terrain des droits et des libertés.
Certaines des rumeurs ont circulé récemment parlant de son état de santé qui serait défaillant et qu’elle aurait besoin d’une évacuation sanitaire. Le gouvernement prend ça peut être comme une brèche qu’on voudrait ouvrir pour lui permettre de sortir du pays. Vous après cette visite, comment trouver vous votre cliente ?
Vous savez, les gens sont détenus, je ne sais pas s’ils sont dans un hôtel 5 étoiles ou dans une prison mais dans une condition qui est extrêmement difficile, surtout sur le plan humain, psychologique. Je dirai que Reckya Madougou est une femme courageuse, une femme forte et que ce qui est très difficile pour elle, c’est de ne pas pouvoir voir sa famille. Donc, il va falloir essayer dans le cadre d’un débat contradictoire et constructif, de garantir ses droits les plus minimaux. Et parmi ses droits les plus minimaux, pour répondre à votre question, il y a le droit à la santé et le droit qu’elle puisse notamment voir des médecins et être soignée correctement. Maintenant quel que soit le médecin qu’elle peut voir, la détention n’est pas un endroit où il faut rester si on a un état de santé fragile. Donc, ces éléments seront systématiquement portés à l’attention de l’autorité judiciaire pour que personne ne puisse dire que nous ne l’avons pas dit. Nous avons hier saisit l’autorité judiciaire comme je vous le disais, de petites demandes, avoir droit à un réfrigérateur pour mettre sa nourriture, avoir droit à une radio pour se tenir informer, avoir droit à voir sa famille dans des conditions dignes. Ces petites demandes-là, petit à petit font de grandes demandes et j’espère que bientôt, elle retrouvera la liberté.
Maître Vey, merci d’avoir répondu à nos différentes questions
Transcription : Janvier GBEDO/Matin Libre