« Ce que nous voyons au Niger est désolant…Les Etats-Unis soutiennent les efforts de la Cédéao pour rétablir l’ordre constitutionnel», Antony Blinken

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a accordé un entretien exclusif à RFI. Il s’exprime sur l’accord céréalier en mer Noire, dont la Russie s’est retirée le 17 juillet 2023. Les États-Unis, qui ont pris le 1er août la présidence mensuelle du Conseil de sécurité de l’ONU, ont érigé en priorité la lutte contre l’insécurité alimentaire liée notamment aux conflits. Interrogé par Mikaël Ponge, le chef de la diplomatie américaine s’exprime également sur la situation au Niger, où un millier de soldats américains sont déployés.

RFI : La semaine dernière, vous avez accusé la Russie de « chantage » au sujet de cet accord céréalier. Moscou pose ses conditions à sa réactivation. Les États-Unis sont-ils prêts à négocier ?

Antony Blinken : Il faut remettre cela dans le contexte. Cet accord déchiré par les Russes n’aurait jamais dû être nécessaire. Il a été nécessaire parce que la Russie a décidé d’envahir l’Ukraine et a procédé au blocage des céréales ukrainiennes, surtout depuis le port d’Odessa. La Turquie est intervenue avec les Nations unies, il y a eu cet accord et l’Ukraine a pu exporter plus de 30 millions de tonnes de céréales. C’est l’équivalent en blé de 18 milliards de baguettes de pain. Cela a eu un impact extraordinaire : deux tiers des exportations de blé sont allés vers les pays en voie de développement, et même les pays qui ne recevaient pas directement ces céréales ont bénéficié de prix bas sur les marchés. Depuis que la Russie a déchiré l’accord, les prix ont augmenté entre 10 et 15%, et nous voyons l’impact sur les pays qui recevaient directement ces céréales ukrainiennes.

Mais à quelles concessions les États-Unis sont-ils prêts pour que Moscou réintègre l’accord ?

Ce n’est pas une question de concessions. La Russie dit qu’elle a des problèmes pour l’export de ses propres céréales, ce qui est faux. Les exportations de céréales russes au cours de la dernière année excèdent de loin ce que la Russie exportait avant l’invasion de l’Ukraine. S’il y a des demandes spécifiques comme sur les banques, nous avons tout fait pour que ces points soient résolus. J’ai moi-même écrit à nos banques pour leur dire que nous soutenions l’export des céréales russes et qu’il n’y a rien à craindre des sanctions, qui mettent d’ailleurs à part les céréales et les questions de transports ou des assurances. Il y a eu une proposition de l’ONU pour résoudre leurs soi-disant problèmes, et il n’y a pas eu de réponse. Enfin si, la réponse russe a été l’attaque du port d’Odessa, l’attaque des céréales en Ukraine. Les Russes ont détruit 220 000 tonnes de céréales depuis une semaine. Voilà la réponse de Moscou.

Moscou a promis de livrer gratuitement des céréales russes à six pays africains pour contrer les effets de la fin de cet accord. Comment les États-Unis comptent-ils répondre à cette initiative de Moscou ?

Il faut être très clair : la Russie a exprimé l’idée d’exporter 50 000 tonnes de céréales à six pays. Or, à l’initiative de l’accord déchiré par la Russie, ce sont 20 millions de tonnes qui ont été exportées vers les pays en voie de développement. Donc, 50 000 tonnes proposées par la Russie contre 20 millions de tonnes exportées grâce à l’accord, il n’y a pas de comparaison. Ce que propose la Russie, c’est une goutte d’eau. Ça ne répond pas au problème, ça ne changera rien à la montée des prix, rien au fait que des millions de tonnes de céréales ne parviennent pas à ceux qui en ont besoin.

Les États-Unis envisagent-ils de puiser dans leurs propres stocks pour aider les pays qui n’arrivent plus à s’approvisionner en céréales ?

C’est ce que nous faisons, et depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, nous avons donné plus de 14 milliards de dollars supplémentaires pour la sécurité alimentaire à travers le monde, surtout dans les pays africains. J’étais aux Nations unies la semaine dernière, j’ai annoncé 350 millions de dollars d’aide supplémentaire pour onze pays en Afrique et Haïti. Donc, nous faisons le maximum. Nous soutenons 50% du budget du Programme alimentaire mondial. La Russie, c’est moins de 1%. Donc tout cela remet en contexte ce que nous faisons pour assurer la sécurité alimentaire à travers le monde, y compris dans les situations d’urgence, mais également pour l’investissement, pour que ces pays puissent avoir une capacité productive à long terme, pour eux-mêmes. Sachez aussi que la semaine dernière, à l’ONU, 91 pays ont signé une déclaration pour que les céréales et l’alimentation ne soient pas utilisées comme arme de guerre. C’est ce que fait la Russie, hélas, en Ukraine.

Au sujet du coup d’État au Niger, M. le secrétaire d’État, quel est le rôle actuellement joué par les États-Unis ? Participez-vous aux efforts de négociation ?

Nous sommes derrière les efforts de Cédéao en Afrique pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger, nous œuvrons donc de façon diplomatique à soutenir leurs efforts. Je suis en contact régulier avec des leaders en Afrique, avec la Cédéao elle-même, mais aussi avec nos partenaires en Europe, y compris la France. Ce que nous voyons au Niger est désolant et n’offre rien au pays et au peuple du Niger. Au contraire, cette interruption de l’ordre constitutionnel nous met, nous et d’autre pays, dans une position où nous devons arrêter notre soutien au Niger, ce qui n’arrangera rien au peuple nigérien.

La diplomatie plutôt que l’intervention militaire ?

Il est certain que la diplomatie est le moyen préférable pour résoudre cette situation. C’est la démarche de la Cédéao, c’est notre démarche et nous soutenons les efforts de la Cédéao pour rétablir l’ordre constitutionnel.

Le millier de soldats américains présents au Niger a-t-il vocation à être retiré du pays ?

Je ne peux pas m’exprimer au sujet de l’avenir. L’essentiel est le retour à l’ordre constitutionnel, c’est ce à quoi nous œuvrons. La suite, nous verrons.

Par : Mikaël Ponge/Rfi

Loyauté et diversité au cabinet de Joe Biden

Une première femme à la tête des services de renseignement national. Un premier homme issu de l’immigration comme secrétaire de la Sécurité intérieure. L’équipe de sécurité nationale de Joe Biden a fait place à quelques précédents.

Le contraste n’aurait pu être plus frappant. Alors que Donald Trump a rejeté pendant quatre ans l’héritage américain du multilatéralisme, Joe Biden a confirmé lundi qu’il comptait au contraire renouer avec les institutions internationales en nommant au sein de son équipe des fonctionnaires et des diplomates de carrière. Ce qui fera plaisir au gouvernement canadien, après des années difficiles. Le président désigné a en outre réitéré, en dévoilant les premiers membres de son cabinet, que celui-ci ferait une place aux minorités du pays.

Plus de deux semaines après l’annonce de sa défaite à la présidentielle américaine, Donald Trump a finalement donné lundi soir son feu vert à l’ouverture du processus de transition vers un gouvernement Biden. Le président républicain sortant s’est par contre bien gardé de reconnaître directement la victoire de Joe Biden, promettant de poursuivre un «juste combat» alors qu’il multiplie les recours en justice, sans succès, pour tenter de démontrer des fraudes lors du scrutin du 3 novembre. Joe Biden a confirmé plus tôt en journée qu’il comptait renouer avec les institutions internationales en nommant au sein de son équipe des fonctionnaires et des diplomates de carrière© Carolyn Kaster Associated Press Plus de deux semaines après l’annonce de sa défaite à la présidentielle américaine, Donald Trump a finalement donné lundi soir son feu vert à l’ouverture du processus de transition vers un gouvernement Biden. Le président républicain sortant s’est par contre bien gardé de reconnaître directement la victoire de Joe Biden, promettant de poursuivre un «juste combat» alors qu’il multiplie les recours en justice, sans succès, pour tenter de démontrer des fraudes lors du scrutin du 3 novembre. Joe Biden a confirmé plus tôt en journée qu’il comptait renouer avec les institutions internationales en nommant au sein de son équipe des fonctionnaires et des diplomates de carrière

Une première femme à la tête des services de renseignement national. Un premier homme issu de l’immigration comme secrétaire de la Sécurité intérieure. L’équipe de sécurité nationale de Joe Biden a fait place à quelques précédents.

Mais le président désigné a aussi choisi de faire appel à des alliés de longue date, notamment en choisissant son nouveau secrétaire d’État. Antony Blinken a travaillé aux côtés de Joe Biden pendant des années, au Sénat puis lors de son passage à la vice-présidence des États-Unis, avant de devenir secrétaire d’État adjoint, toujours sous la présidence de Barack Obama. Le président désigné l’a présenté comme l’un de ses « conseillers de confiance par excellence ».

« Le président désigné Biden a choisi un homme extrêmement bien préparé en matière de politique étrangère. Il a opéré aux plus hauts niveaux », observe Raymond Chrétien, qui a été ambassadeur du Canada à Washington de 1994 à 2000.

M. Blinken, qui parle très bien français après avoir grandi à New York et à Paris, est en outre un fervent défenseur du multilatéralisme. « Il croit à l’OTAN. Il croit à l’ONU. Il croit à l’Organisation mondiale de la santé. Et ça, pour le Canada, c’est très important. Ce sont toutes des institutions où le Canada a traditionnellement cherché à exercer son influence », note M. Chrétien, qui est aujourd’hui avocat chez Fasken.

Joe Biden a par ailleurs créé une première en nommant au sein de son équipe de sécurité nationale un envoyé spécial pour le climat : l’ancien secrétaire d’État de Barack Obama, John Kerry — qui parle aussi français et qui avait été au cœur de la signature par les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat qu’entend ratifier à nouveau Joe Biden.

M. Kerry siégera ainsi au Conseil national de sécurité du président désigné et se retrouvera donc au cœur du gouvernement de son ancien collègue. « C’est un autre indice que M. Biden prend l’environnement très au sérieux », souligne M. Chrétien. Et un autre avantage pour la relation diplomatique entre Washington et Ottawa, alors que Donald Trump était aux antipodes de la position canadienne sur la question. « Ça ne veut pas dire qu’on va s’entendre sur tout. Mais on part d’un terrain d’entente commun. »

Une bonne nouvelle pour Ottawa

Ces nominations d’anciens haut placés du gouvernement Obama permettent à Joe Biden de certifier que son propre gouvernement sera prêt à se mettre au travail dès le 20 janvier. L’équipe s’est targuée d’avoir choisi « des leaders d’expérience, qui ont été mis au défi lors de crises passées et qui seront prêts à se mettre au travail dès le premier jour ».

« Le monde a changé depuis Barack Obama, admet Raymond Chrétien. Mais c’est clair qu’il y a un désir de rétablir le rôle et la place des États-Unis dans le monde à l’intérieur de l’architecture internationale existante que les Américains eux-mêmes ont créée. C’est un message fondamental. »

Et un message qu’a défendu le gouvernement de Justin Trudeau depuis son arrivée au pouvoir, en tentant de réformer de l’intérieur certaines institutions, comme l’Organisation mondiale du commerce, et d’en protéger d’autres, comme l’OTAN et l’ONU.

Le bureau du ministre canadien des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, n’a pas réagi directement aux nominations de Joe Biden, mais a dit qu’il avait « hâte de forger des relations de travail solides » avec cette équipe « comme avec toutes les administrations américaines précédentes », notamment dans la lutte contre les changements climatiques et le renforcement du multilatéralisme.

Joe Biden a par ailleurs retenu une diplomate de carrière afro-américaine comme ambassadrice aux Nations unies. Linda Thomas-Greenfield aura justement pour mandat de « renouveler nos relations avec nos amis et alliés », a-t-il fait valoir par voie de communiqué, et de « rétablir la réputation des États-Unis sur la scène mondiale ».

Alejandro Mayorkas, qui a été secrétaire adjoint à la Sécurité intérieure pour le gouvernement Obama, serait le premier Américain d’origine cubaine à occuper le poste de secrétaire de ce portefeuille si sa nomination est confirmée par le Sénat.

Avril Haines, qui a été la première femme directrice adjointe de la CIA, deviendrait quant à elle désormais la première femme directrice du renseignement national.

Quant au poste de conseiller à la sécurité nationale, il sera confié au conseiller de longue date de Biden Jake Sullivan, 43 ans, si le Sénat donne son accord. Le président désigné compte en outre créer un précédent en nommant bientôt, selon plusieurs médias, l’ancienne présidente de la Réserve fédérale Janet Yellen au poste de secrétaire au Trésor.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat–Le Devoir.