Plus question de dépoussiérer la Couronne. Le 7 mars, dans un entretien corrosif, ils l’ont accablée. Un an après leur exil volontaire en Amérique, les « royal rebels », règlent leurs comptes avec la « Firme » à coups de révélations fracassantes et font basculer la querelle familiale dans une guerre de communication. Racisme, mensonges, pensées suicidaires : à la présentatrice star Oprah Winfrey, les Sussex ont livré leur vérité sur la rupture. Paris Match passe leur discours au crible.
La liberté selon les Sussex
Face à Oprah Winfrey, Meghan Markle exprime sa joie de retrouver sa liberté de parole, au moment où la Reine accueille deux corgis, célèbre son cher Commonwealth et loue des valeurs d’unité et d’amitié. Le mari de la souveraine, le duc d’Edimbourg, 99 ans, opéré du cœur, n’est toujours pas sorti de l’hôpital. Etait-ce le bon timing pour crier son malheur à la ville et au monde? C’est ainsi avec les Sussex ; quoi qu’ils fassent, ils choquent, perturbent, bousculent. Ce que l’indépendante Meghan savait avant d’accepter le grand saut. N’y a-t-il pas une autre raison à ce mal-être déversé en prime time ? Meghan, devant Oprah, se contente de «sa» vérité et passe sous silence certains épisodes peu glorieux.
Harry se plaint de ne pas être prioritaire aux yeux de son père
Dans «Libres», le livre des reporters Omid Scobie et Carolyn Durand, qui défendent les agissements des Sussex et offrent leur version du schisme, il est écrit que le prince Harry se plaint de ne pas être prioritaire aux yeux de son père, qui le finance, alors que lui et Meghan sont populaires, volontaires. Le quotidien de l’establishment «The Daily Telegraph» en rajoute ces jours-ci, après avoir échangé avec de nombreuses sources anonymes au sein de Buckingham : « Derrière les grilles du palais, il devenait évident que Meghan n’avait pas l’intention de jouer les utilités au service des Cambridge, malgré l’ordre de succession. » Ainsi, dès 2017, les trentenaires pressés n’ont pas souhaité marcher derrière William et Kate, mais bien à leurs côtés tout au long du chemin qui mène à l’église pour assister à la messe de Noël à Sandringham. Harry et Meghan entendaient agir à leur guise, ne pas attendre la permission avant de choisir telle organisation caritative à parrainer, ne pas se coordonner avec les emplois du temps du prince Charles, de la Reine ou du prince William pour bouger un orteil ou accorder une interview. Insupportable lenteur de la machine royale. Ils se sentaient négligés, feignant de ne pas comprendre la valeur, injuste mais c’est ainsi, de l’ordre dynastique. Leur prison dorée ressemble à une avalanche de requêtes non satisfaites.
Des relations familiales empreintes de racisme et de froideur
Meghan révèle que des membres de la famille royale se sont inquiétés auprès de Harry de la couleur de peau «trop sombre» de leur futur enfant, et qu’ils ne souhaitaient pas qu’il ou elle soit titré(e) prince ou princesse, ni reçoive de protection particulière. Une affirmation choquante, explosive. La métisse Meghan ne divulgue pas à Oprah Winfrey les noms des personnes en cause. Il est toutefois possible de spéculer. Le prince Philip, eu égard à ses gaffes passées, pourrait avoir ce genre de conversation. Meghan a aussi toujours eu des échanges polaires avec le prince Andrew, l’oncle de Harry, qui, d’après une source, ne lui adressait pas la parole. De même, il faut se souvenir de la broche « black face » épinglée sur le manteau de la princesse Michael de Kent pour une soirée en présence de Meghan. « Il y avait des opportunités à saisir au sein de ma famille. Personne ne nous a défendus, ils ont trop peur des tabloïds. Il y a un contrat invisible entre l’institution et cette presse», argue Harry, qui vomit la quasi-totalité des journaux de son pays. Mais, alors, pourquoi les dévore-t-il dès le réveil ?
Harry ne touche plus un centime de son père mais a signé un deal énorme avec Netflix, producteur de « The Crown », la série qui fait enrager Buckingham
Le prince William est l’autre héros malheureux de ce déballage. Lui qui fut si proche de son cadet passe pour un affreux insensible à ses yeux. Mais William, qui n’apprécie pas plus les journalistes que son frère, se plie au jeu, admet les règles. Il a moins le choix. Surnommée « Waity Katy », Kate aussi a été maltraitée, décrite comme la fille sans noblesse d’une hôtesse de l’air arriviste… Les deux fils de Diana ne se sont plus vus depuis plus d’un an et demi et communiquent à peine. Ils doivent se retrouver cet été, à Londres, pour l’inauguration d’une statue à l’effigie de leur mère, qui aurait eu 60 ans. Ambiance chaleureuse en prévision… L’autre inconnue demeurait les liens entre Charles et son cadet. Harry admet que son père ne lui verse plus un centime depuis début 2020 – il recevait 2,5 millions de livres par an du duché de Cornouailles – mais le reprend depuis peu au téléphone, avant de déclarer: «Lui et mon frère sont prisonniers de l’institution, et j’éprouve une grande compassion à leur égard. » Harry, l’anarchiste, souhaiterait-il la fin de la monarchie ? Certes, Camilla n’aurait pas montré une immense affection à l’égard de sa nouvelle belle- fille ; certes, Charles a préféré privilégier son aîné, amené à régner. Mais on sent dans la rhétorique des Sussex une emphase trop victimaire. Et une pointe de délire. Quand Meghan évoque des «fêtes de Noël pour les tabloïds à Buckingham Palace », qui peut la croire ?
Les « mensonges » de la « Firme »
Meghan Markle accuse le palais de colporter des contre- vérités, de mener une campagne de dénigrement à son encontre. C’est une méthode classique : les employés de la communication de la maison royale font souvent fuiter auprès de journalistes « amis » des bribes d’informations, tentant ainsi d’orienter les articles publiés dans des jour- naux conservateurs et des tabloïds guère progressistes. Une analyse du « Guardian » pointe en 2018 les inégalités de traitement dont fut victime la duchesse de Sussex. Sur 843 articles parus à son sujet cette année- là dans 14 publications, 43 % se révèlent négatifs, 20 % positifs ; le reste est neutre. Un exemple de partialité : lorsque la duchesse de Cambridge, enceinte, est prise en photo se caressant le ventre, le « Daily Mail » titre : « Enceinte, Kate enlace tendrement son ventre rond tout en assumant ses fonctions royales.» Lorsqu’il s’agit de Meghan dans la même posture, le ton change : « Pourquoi ne peut-elle pas s’empêcher de placer ses mains sur son ventre ? Des experts s’interrogent : est-ce par vanité, par fierté, ou en raison d’une technique new age ? » Mais pour ces unes malhonnêtes, hostiles, parfois racistes, le palais est peu soupçonnable d’intervention ni d’orientation.
La réconciliation entre les deux couples semble impossible
Les publications respectées, comme «The Times», enquêtent avec plus de sérieux sur des sujets graves, ou pas. «Même si le couple insistait pour que leur porte-parole nie l’histoire de Meghan exigeant qu’on vaporise un spray anti-odeurs dans la chapelle Saint George, où elle se marie et qui, selon elle, sent “le moisi”, est exacte d’après de nombreuses sources », persifle ainsi le « Telegraph », qui réaffirmait la veille de cet entretien que Kate avait pleuré après une remontrance de Meghan sur les tenues des enfants d’honneur. La duchesse de Sussex soutient l’inverse face à Oprah, affirmant que sa belle-sœur se serait excusée. Etait-il nécessaire de riposter sur pareille querelle ? Après de telles salves, la réconciliation entre les deux couples semble impossible. Et Meghan et Harry taisent leurs manipulations. Le matin de la naissance d’Archie, Sara Latham, leur conseillère en communication, répliquait aux journalistes qu’elle n’avait « rien à signaler» alors que l’enfant était né depuis plusieurs heures. Jamais les Cambridge n’auraient agi de la sorte.
Les accusations de harcèlement
Meghan Markle n’a pas pu évoquer avec Winfrey la plainte pour harcèlement déposée contre elle par plu- sieurs de ses assistants, en 2018, alors qu’elle résidait à Kensington Palace. L’interview télévisée a été enregistrée avant la publication par le « Times » de ces opportunes révélations. «La duchesse semble avoir toujours besoin de quelqu’un en ligne de mire. Elle harcèle X et cherche à endommager sa confiance. Nous disposons de nombreux témoignages de gens ayant vu des comportements inacceptables de sa part », notait alors Jason Knauf, le conseiller en chef des plaignants, dont le rapport, trans- mis à la DRH, est resté enfoui jusque-là dans les tiroirs. Pourquoi tant de départs aussi rapides autour de Meghan? Edward Lane Fox, ancien secrétaire privé de Harry, a quitté ses fonctions un mois avant le mariage. Il a été remplacé par Samantha Cohen, dix-sept années d’expérience au sein de la « Firme ». Elle a, à son tour, rendu son tablier au bout d’un an, malgré une proximité ancienne avec Harry. « Ils l’ont poussée à bout », attaquait le « Daily Mail ». Samantha Carruthers, la patronne des ressources humaines des princes, s’est éclipsée à l’été 2019. Melissa Toubati, une des assistantes personnelles de Meghan à l’origine de la plainte pour harcèlement, a quitté ses fonctions au bout de six mois. Amy Pickerill a, elle, tenu dix-huit mois le poste d’adjointe au secrétariat privé avant de désirer « s’installer à l’étranger » ; elle a, en fait, opté pour servir les Cam- bridge. Sans oublier les retraits de deux nounous, d’un officier de sécurité, d’une secrétaire de la communication… «Je n’ai jamais entendu parler de harcèlement», tempère Omid Scobie qui décrit un couple soumis à de fortes pressions: «Ils ont pu se montrer exigeants, comme d’autres membres de la famille, mais Harry et Meghan se sentaient oppressés. L’ambiance autour d’eux était stressante, toxique.» On rapporte aussi que la duchesse bombardait de mails son personnel dès 5 heures du matin… Eux nient en bloc, invoquent des mensonges du palais, qui orchestrerait ces calomnies.
La comparaison avec Diana
Pendant l’entretien, Meghan porte autour du poignet un bracelet ayant appartenu à Diana Spencer. Et Harry a prononcé cette phrase : « Je ne veux pas que l’histoire se répète », sous-entendant que la mort de sa mère était liée à sa traque par les paparazzis au service des tabloïds. Harry lie le sort de la princesse de Galles à celui de sa femme, qu’il estime accablée par les médias, en butte à la même institution hypocrite et malsaine. S’en aller, c’était la protéger des « hommes en gris », surnom donné par Diana aux conseillers royaux, et des agissements nocifs de la presse. Mais Meghan n’est pas Diana. L’Américaine divorcée de 39 ans n’est pas une aristo- crate qui a épousé son prince à 20 ans, vierge d’expérience. Elle savait deux ou trois choses, même si elle plaide la « naïveté ». Diana a bousculé la monarchie mais n’a pas cessé de la servir jusqu’à son divorce, prononcé en 1996. Elle a été seule dans la tourmente, trompée par un mari distant, auquel elle a elle-même été infidèle. Rien de tout cela pour miss Markle. Trois maigres années dans les habits royaux au compteur. Son union paraît solide, Meghan et Harry affichant les mêmes aspirations, sauver le monde, quand Charles et Diana n’avaient que peu en commun.
Meghan confie avoir eu des pensées suicidaires
Pourtant, Meghan, émouvante, confie à Oprah des pensées suicidaires, un trouble mental persistant durant sa grossesse, la sombre solitude. L’angoisse, comme l’a aussi connue de Diana. Elle confie avoir sollicité de l’aide auprès de certains Windsor et d’un conseiller en ressources humaines du palais. « Il n’est rien que nous puissions faire », lui aurait-on répondu. Il lui a été recommandé de ne pas séjourner à l’hôpital. Son but est le même que celui visé par Diana à l’époque : fragiliser une institution sexiste, archaïque. Sarah Ferguson l’avait déjà signifié à cette même Oprah en 1996 : « L’existence royale n’a rien d’un conte de fées. » La vengeresse Diana a fini par regretter sa fameuse interview libératrice avec Martin Bashir, durant laquelle elle se plaignait des tromperies du prince Charles, qu’elle jugeait inapte à régner. Harry et Meghan ont beau promettre que cet entretien constituera leur unique confession publique, elle les suivra leur vie durant.
Le véritable enjeu de l’interview
Harry et Meghan le clament, ils veulent protéger leur vie privée. Pour cette raison, ils n’ont jamais divulgué les noms des parrains et marraines d’Archie. Soit. Contrairement aux us et coutumes en vigueur dans la famille royale, ils attaquent les publications en justice, exigent des sommes importantes en guise de réparation du préjudice. Pourtant, avant l’interview accordée à Oprah, Harry s’est confié aux caméras dans l’émission de son copain James Corden, star anglaise de la télévision américaine. Voilà le prince roux assis en haut d’un bus à impériale qui circule dans les rues de Los Angeles. Il raconte que sa grand-mère lui a envoyé un moule à gaufres, qu’il «zoome» régulièrement avec elle, qu’entre Meghan et lui ce fut le coup de foudre, qu’il regarde « The Crown », une fiction selon lui, mais meilleure que celle imprimée dans la maudite presse. Le prince Harry ne peut se permettre une critique plus franche ; il a signé un deal de 100 millions de dollars avec Netflix, les producteurs du feuilleton sur sa famille. La somme n’aurait pas été versée en totalité, les Sussex préparent quatre ou cinq documentaires. Mais pourquoi ne pas se taire, rester loin du tumulte et assécher la parole publique ? Pourquoi s’épancher et déclarer qu’ils se sont mariés en secret trois jours avant la date prévue, ou qu’ils attendent une fille après Archie?
L’entretien avec Winfrey répond à une logique, la leur : gagner la bataille de l’image. Ils ne sont pas de cruels rejetons qui enquiquinent la digne Reine, ils ont des excuses. Ils encensent d’ailleurs Elizabeth II, alors que c’est elle qui a décidé de leur éviction au nom du devoir et des valeurs. Mais blesser une femme de bientôt 95 ans au sommet de sa popularité ruinerait leurs projets. Se défendre pour exister. Et engranger des contrats avec Apple, Netflix ou Spotify (ce dernier pour un montant d’environ 30 millions de dollars), qu’ils n’ont pas cherchés, disent-ils… Un jeu dangereux. D’autant – faut-il le rappeler? – que s’ils ont obtenu des sommes folles de ces sociétés américaines, ils ne le doivent pas à leurs réalisations personnelles mais aux liens de parenté de Harry avec la souveraine, sa grand-mère, et ceux – son père, son frère et son neveu – qui, après elle, se succéderont sur le trône.
Les questions qui manquent
Oprah l’avait promis, pas de tabous. Pourtant, elle a évité le sujet Thomas Markle, le père de Meghan, qui, multipliant les déclarations intempestives sur sa fille et son gendre, n’a cessé de les embarrasser. Elle et lui n’auraient plus de contacts. « J’ai perdu mon père », glisse simplement Meghan. Autre épineux dossier mis sous le tapis, les liens entre Andrew et son ami le pédocriminel Jeffrey Epstein, mort pendu dans sa cellule. Trop compliqué sans doute, d’autant que Harry demeure proche de sa cousine Eugenie, la fille du duc d’York.
Bilan des courses
L’amour entre Harry et Meghan transparaît à chaque plan, chaque phrase: «Il m’a sauvée»; «Elle m’a sauvé.» Tous deux semblent heureux du côté de l’enclave cossue de Montecito, dans le comté de Santa Barbara, à deux heures au nord-ouest de Los Angeles. Ils habitent depuis juillet dernier une demeure grandiose, achetée 14,6 mil- lions d’euros, avec courts de tennis, spa, sauna, garage pour cinq véhicules, maison d’amis, home cinéma et immense jardin fleuri, le tout situé à sept minutes en voiture de la majestueuse résidence de leur hôtesse, Oprah Winfrey. Une existence de milliardaires en tongs sous le soleil, bien sûr dédiée au service public, les attend. Leurs amis sur place ? Le producteur de musique David Foster, la présentatrice vedette Ellen DeGeneres… Et les Windsor? Cette famille a essuyé de nombreuses crises et péripéties depuis 1936, lorsque Edward VIII avait choisi d’abdiquer pour épouser une Américaine divorcée, Wallis Simpson. Les turpitudes du clan ont souvent été étalées. « Nous étions trois dans ce mariage », la phrase de Diana en référence à Camilla Parker Bowles, la maîtresse de son mari, a fait couler beaucoup d’encre. Sa mort a ébranlé un peu la maison royale, et même secoué la « froide » Reine.
Vingt-trois ans plus tard, l’équation est différente. Si deux camps se dessinent au Royaume-Uni, les pros et les anti-Meghan, les premiers souvent jeunes et d’origines diverses, actifs sur les réseaux sociaux, les seconds conservateurs et plus âgés, le régime monarchique n’est pas menacé pour autant. Elizabeth II est une souveraine incontestée, populaire. Mais l’interview des Sussex peut ternir la confiance envers les suivants. C’est un bon coup de massue. Elle ringardise l’institution vieillotte et sape à sa façon la curiosité et l’adhésion en faveur de Charles et de William, son dauphin… D’ici là, ces personnages secondaires de la dynastie auront sans doute disparu, trop occupés à siroter un jus de carotte bio au bord de la piscine d’une villa de Californie.
Paris Match