Démographie, contrôle des naissances : pertinente réflexion de l’éminent Professeur Albert Honlonkou

Dans le compte-rendu du conseil des ministres du 3 mai 2023, le Gouvernement a annoncé l’organisation des assises nationales sur la croissance démographique et le développement au Bénin qui se tiendra courant septembre 2023. Dès lors, des voix commencent à s’élever, qui pour justifier, qui pour pourfendre ce désir de l’État d’accélérer la transition démographique. A travers le présent article, nous nous invitons dans le débat pour dire que le gouvernement s’attaque à une vraie cause endogène du sous-développement, mais également à une question difficile à traiter par les politiques publiques.

Dans le compte-rendu du conseil des ministres du 3 mai 2023, le Gouvernement a annoncé l’organisation des assises nationales sur la croissance démographique et le développement au Bénin qui se tiendra courant septembre 2023. Dès lors, des voix commencent à s’élever, qui pour justifier, qui pour pourfendre ce désir de l’État d’accélérer la transition démographique. A travers le présent article, nous nous invitons dans le débat pour dire que le gouvernement s’attaque à une vraie cause endogène du sous-développement, mais également à une question difficile à traiter par les politiques publiques.

Pour montrer le sens de la question démographique, commençons par deux exemples. Le premier, puisé dans le conseil des ministres ; le second, un fait historique.

Dans le compte rendu du conseil des ministres, on lit ceci :

« Ainsi, entre 1979 et 2013, la population béninoise s’est accrue de 176%, passant de 3,3 millions à plus de 10 millions d’habitants, pendant que les pays comme l’Irlande et la Nouvelle-Zélande, ayant la même proportion de population que le Bénin en 1979, ont connu un faible accroissement respectivement de 37% et 43%. »

Tel qu’énoncé, ce constat tend à signifier que l’Irlande, la moitié du Bénin en superficie, et la Nouvelle-Zélande, deux fois le Bénin, ont eu des niveaux de vie plus élevés que le Bénin parce que le croît démographique est beaucoup plus faible dans ces pays comparateurs (0,96% et 1,21%). Mais une petite simulation montre que si le Bénin avait un taux de croissance démographique similaire, son PIB se situerait entre 2523 et 5000 dollars courants, en 2020, valeurs très éloignées des PIB par habitant des pays comparateurs (voir tableau en bas). La contreperformance du Bénin est également difficilement explicable par les différences de taux de croissance économique moyens sur la période qui sont respectivement de 6,39% pour le Bénin, 7,91% pour l’Irlande et 5,78% pour la Nouvelle-Zélande.

Compte tenu de ces chiffres, la grande performance des pays comparateurs peut s’expliquer par le fait que ces pays ont eu un bon départ et ont su maintenir la tendance. En 1979, les PIB par habitant de l’Irlande et de la Nouvelle-Zélande étaient respectivement de 5 430 et de 6 668 dollars courants contre 318 dollars courants pour le Bénin.

Si l’on peut dire que l’évolution démographique au Bénin n’est pas si handicapante pour le développement, que peut-on dire du Rwanda ? Le fait historique rwandais est notre second exemple pour illustrer la thèse de la régulation naturelle de la population du Révérend Père Sir Robert Thomas Malthus.  Selon Malthus, en effet, la passion entre les sexes fait que la population croît de façon géométrique tandis que la disponibilité de nourriture croît de façon arithmétique, aboutissant à des périodes où les disponibilités alimentaires sont insuffisantes pour nourrir la population.  Dès lors, la nature intervient pour une régulation par les guerres, les épidémies, les pestes, les mauvaises saisons, les famines, les inondations, les tremblements de terre, les crimes divers suscités par des péchés tels que l’envie, l’avarice et la traîtrise évoqués par Dante dans la Divine Comédie. « Quand il n’y a plus d’espérance, les hommes deviennent des animaux », a dit Dan Brown dans Inferno.

Le Rwanda est un pays dont la superficie fait le quart de celle du Bénin et dont la densité de la population est de 500 habitants au kilomètre carré en 2020. Pour un pays dont le PIB par habitant est de 219 dollars courants en 1979 et dont la densité démographique est si élevée, la population est une explication possible de la misère ambiante, du conflit autour des ressources et du génocide de 1994. Les politiques publiques de contrôle démographique et d’expansion hémogénique d’accès aux ressources mises en œuvre par l’actuel gouvernement rwandais, constituent donc des questions de survie et d’autoconservation. Elles visent un contrôle démographique artificiel concomitamment avec un accroissement des ressources pour échapper au contrôle naturel à la Malthus déjà expérimenté dans la douleur en 1994.

En République Démographique du Congo, la prédiction malthusienne se manifeste autrement. Elle ne s’opère pas à travers la densité de la population qui y est faible, mais à travers la croissance démographique très élevée (3,2%). La taxe démographique y est de 101% et le ratio de dépendance de 89% signifiant que le croît démographique réussit à happer toute la modeste croissance économique et à appauvrir les générations successives de Congolais.

Si le Bénin est loin du seuil critique rwandais, peut-on néanmoins affirmer que la taille actuelle de la population ou la densité de la population béninoise est proche du seuil optimal et qu’il faille introduire un contrôle démographique artificiel ?

La population optimale pour une dotation en ressources, un état technologique et des habitudes de travail donnés est cette taille de la population qui correspond à un produit par tête le plus élevé possible. A cette taille, on obtient un équilibre entre le rôle actif et le rôle passif de la population. Comme le bien-être de la population dépend à la fois du taux d’accumulation du capital et du taux de croissance démographique, la taille de la population optimale est déterminée concomitamment avec le taux d’épargne optimal qui permet d’investir. Elle est donc dynamique et ne correspond pas à un taux de croissance démographique nul.

La croissance de la population est à la fois un actif et un passif. Elle est un actif en ce sens qu’elle est source d’une force productive jeune, d’une contribution plus grande à la sécurité sociale et une disponibilité de marchés plus étendus. Ce rôle d’actif suppose que l’on incorpore dans la force productive suffisamment du capital humain (éducation, santé, alimentation, nutrition) et qu’il existe de biens publics pour accroître la rentabilité des investissements privés. Elle suppose également que la population est dotée d’un pouvoir d’achat lui permettant d’être un demandeur effectif de biens et services produits. Si ces conditions ne sont pas remplies, la croissance démographique constitue plutôt un passif et potentiellement une bombe parce qu’une population plus grande suppose un partage des ressources à plus de personnes. Techniquement, le taux de croissance du produit par tête est égal au taux de croissance du produit diminué du taux de croissance démographique. Ainsi, la croissance de la population induit une taxe démographique sur la quantité de produit par tête. A ce titre, conjuguée à des inégalités d’accès aux ressources, la croissance démographique tend à être source d’insécurité alimentaire, de dégradation environnementale, d’externalités de congestion, de création de bidonvilles pauvres et de dispersion des biens et services publics si la taxe et le ratio de dépendance démographiques sont trop élevés. Et c’est le cas des pays africains tels que le Bénin (48 et 90,1%), le Rwanda (41 et 83%), la République Démographique du Congo (101 et 89%) et le Nigeria (47 et 79%) comparés à l’Irlande (12 et 49%), à la Nouvelle-Zélande (20 et 51%), à la Chine (8 et 14%) et aux Etats-Unis (18 et 25%).

Beaucoup de pays africains n’ont pas encore entamé la transition démographique où le taux de natalité commence par baisser comme le taux de mortalité permettant à la population de se stabiliser. Ils sont donc loin d’engranger le dividende démographique qui est l’opportunité associée à un faible taux de dépendance permettant des taux élevés de la participation de la force de travail et des taux élevés d’épargne tous deux favorables à la croissance économique et au bien-être individuel.

On peut donc affirmer que la croissance démographique actuelle du Bénin n’est pas optimale. Elle appelle à des politiques appropriées pour réduire la taxe démographique par le biais de la réduction du taux de fécondité générale. Leur efficacité dépend du modèle humain en matière de reproduction. A ce titre, Donald Rutherford a publié en 2007 un article intitulé « les trois approches de Malthus pour résoudre le problème démographique » où il a, dans son interprétation de l’œuvre de Malthus, présenté quatre modèles de comportement humain : le travailleur, le calculateur, le géniteur et le consommateur.

Le modèle de l’humain travailleur suppose que le problème démographique peut être résolu en travaillant davantage. Ce modèle bannit les systèmes d’assistance en s’inspirant de la dure sentence de saint Paul : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. »  (2 Thessaloniciens, 3 :10). On connaît les limites de ce modèle anti-redistributif et qui pense que la croissance économique peut être rendue compatible avec la croissance démographique, notamment dans les pays en développement où le progrès technologique est insuffisant pour contrer la loi naturelle des rendements décroissants.

Dans le modèle de l’humain calculateur, rationnel et prévoyant, le ménage prend la décision de reproduction en comparant les avantages aux coûts. Cet humain comprend comme Malthus, que l’accroissement irresponsable de la taille de la famille peut conduire à l’amenuisement du revenu individuel et à la misère pure et simple. Au niveau individuel des ménages, les enfants sont des sources de revenus, d’assurance et de la satisfaction morale pour les parents. Si les revenus des parents augmentent, les fonctions de revenu et d’assurance des enfants diminuent, réduisant la demande d’enfants. Le motif de satisfaction change aussi pour une baisse de la demande de quantité au profit de la qualité des enfants. Les actes de redistribution financés par des impôts progressifs (gratuité des soins de santé et d’éducation, placement d’enfants) peuvent faire diverger les coûts privés de l’humain calculateur des coûts sociaux d’une progéniture supplémentaire. De même, les placements d’enfants empêchent les parents ruraux de supporter le coût complet de leurs enfants et représente une main d’œuvre domestique bon marché pour la classe moyenne urbaine.

Le modèle de l’humain géniteur reconnaît l’humain comme cause principale de la croissance démographique et entend agir sur l’endoctrinement moral pour convaincre l’humain à moins d’enfants. Le modèle de l’humain géniteur est conforté par le fait que les couples non mariés ou homosexuels ont aujourd’hui d’enfants par la procréation médicalement assistée (PMA). De même, il faudrait prendre en compte les externalités créées par l’importation du surplus démographique par les migrations et l’adoption des enfants.

Le modèle de l’humain consommateur suppose que l’humain déduit sa demande d’enfants de son revenu diminué des dépenses de confort ou même de luxe qu’il entend effectuer.

Pour diminuer le taux de fécondité générale, deux catégories de politiques publiques existent : la politique d’offre et la politique de demande.

Du côté de l’offre, il s’agit de rendre la contraception disponible et moins chère, l’interruption volontaire de grossesse moins coûteuse moralement et économiquement. La contraception permet de réduire l’écart entre le nombre d’enfants réel et le nombre d’enfants désiré. Cette politique peut susciter des oppositions qui la rendraient inefficace. Dan Brown, dans son roman Inferno, pose le problème en ces termes :

– … vous n’êtes pas sans savoir que la surpopulation est une question prioritaire pour nous (OMS). Récemment, nous avons consacré des millions de dollars pour envoyer des médecins en Afrique afin de distribuer des préservatifs et d’éduquer les gens à la contraception.

– Magnifique ! et une armée de missionnaires passe derrière vous pour leur dire qu’ils iront en enfer s’ils s’avisent de mettre des capotes ! L’Afrique est face à un nouveau problème écologique : les terres sont pleines de préservatifs inutilisés !

Du côté de la demande, il existe plusieurs instruments de politique. La promotion du mariage tardif par la scolarisation permet de réduire le taux de fécondité générale. L’amélioration des systèmes d’éducation et de santé concomitamment avec la réduction de la pauvreté (ODD 1, 3 & 4) permet d’accroître le prix effectif de l’enfant et d’encourager les parents à substituer la qualité à la quantité. Ces mesures peuvent également accroître les droits de reproduction des femmes et leur opportunité de participation au marché du travail (ODD 5). Le renforcement des mesures de protection sociale permet de réduire la demande d’enfants comme assurance et source de revenus.

Certains pays ont adopté des politiques plus dures de rationnement de la demande d’enfants. C’est le cas des pays comme la Chine qui ont adopté une politique de l’imitation stricte du nombre d’enfants soutenue par des sanctions telles que les amendes, la perte d’emploi, la privation d’accès aux services publics, au microcrédit, aux allocations familiales, la migration forcée vers les zones rurales et la stérilisation forcée des pauvres disposant d’une certaine taille de famille.

Cependant, l’exemple brésilien montre qu’il existe également des politiques soft de limitation. Le Brésil a réussi à réduire le taux de fécondité des femmes qui est passé de 6,3 enfants en 1960 à 1,9 enfant en 2010 en utilisant des spots publicitaires, les mini-drames diffusés à travers le théâtre, la radio, la télévision et les cinémas montrant les bénéfices des familles de petite taille (2 enfants au maximum) comparés à ceux des familles nombreuses.

Les politiques publiques de population dont la planification familiale doivent consister à aligner les gains/coûts privés sur les gains/coûts sociaux marginaux d’un accroissement de la taille des ménages à cause des externalités externes négatives d’un taux de fécondation générale élevé.

Même si la croissance démographique n’est pas encore une bombe au Bénin, elle est loin d’être une opportunité. Nous savons aussi avec l’économiste danoise Ester Boserup que la pression démographique est une source potentielle d’innovation et de créativité à long terme. Mais un autre économiste John Maynard Keynes nous a déjà averti : « Dans le long terme, nous serons déjà tous morts ». Le Bénin doit donc définir sa voie d’accélération de la transition démographique que je préconise douce et non brutale. Mais refuser d’agir maintenant pour un contrôle artificiel de la population, c’est promouvoir plus tard son contrôle naturel par les mécanismes malthusiens. C’est préférer faire subir une mort prématurée à des millions de personnes déjà nées dont une grande part sera constituée d’enfants de mauvaise qualité. C’est en cela que le contrôle artificiel de la croissance démographique est un humanisme.

 Albert Honlonkou,

 Professeur d’Economie, Université d’Abomey-Calavi

 Directeur du Laboratoire d’Economie des Systèmes socio-Ecologiques et de la Population (LESEP)

Taxe démographique = rapport Taux de croissance démographique/taux de croissance économique. Il mesure le nombre de personnes supplémentaire nourries par une personne active ou la quantité supplémentaire de biens et de services qu’une personne doit fournir en plus de ses propres besoins.