Pensionnats autochtones : le Canada secoué par une macabre découverte

« On ne peut pas fermer les yeux ». Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a reconnu mardi la « faute du Canada », une semaine après la découverte des restes de 215 enfants autochtones sur le site d’un ancien pensionnat en Colombie-Britannique, à Kamloops. Chaque jour depuis cette découverte macabre ayant choqué le pays, des habitants se rendent à un mémorial qui y a été érigé pour y déposer messages de soutien, jouets et chaussures d’enfant.

La découverte des restes de 215 enfants autochtones sur le site d’un ancien pensionnat en Colombie-Britannique a choqué le pays. Et ravivé un douloureux débat.

« On ne peut pas fermer les yeux ». Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a reconnu mardi la « faute du Canada », une semaine après la découverte des restes de 215 enfants autochtones sur le site d’un ancien pensionnat en Colombie-Britannique, à Kamloops. Chaque jour depuis cette découverte macabre ayant choqué le pays, des habitants se rendent à un mémorial qui y a été érigé pour y déposer messages de soutien, jouets et chaussures d’enfant.

Un débat au Parlement

Mardi en fin de matinée, le chef du gouvernement a lui-même déposé un bouquet de fleurs et posé un genou au sol, masque sur le visage, avant de participer dans la soirée à un débat de plusieurs heures organisé à la Chambre des communes. « Ces petites chaussures n’auraient pas dû être là », a-t-il commenté en référence au mémorial visité le matin même. « Aujourd’hui, certains des enfants retrouvés à Kamloops – et ceux qu’il reste à découvrir ailleurs dans le pays – auraient pu devenir grands-parents ou arrière-grands-parents », a-t-il poursuivi. « Ils ne le sont pas devenus. Et c’est de la faute du Canada ».

Des chaussures et des jouets pour enfants sont placés sur le mémorial érigé sur la colline du Parlement à Ottawa, au Canada, le 1er juin 2021.
© DAVE CHAN / AFP Des chaussures et des jouets pour enfants sont placés sur le mémorial érigé sur la colline du Parlement à Ottawa, au Canada, le 1er juin 2021.

« Notre pays a manqué à son devoir envers les centaines d’enfants enterrés près d’un ancien pensionnat autochtone à Kamloops », a martelé Justin Trudeau, faisant écho à la vague d’émotion et d’indignation qui a submergé le Canada depuis la macabre découverte en fin de semaine dernière. « On ne peut pas fermer les yeux et faire comme si de rien n’était », a ajouté celui qui avait déjà promis la veille des « actions concrètes » en faveur des communautés autochtones après ce drame. Il n’avait toutefois pas précisé quelles pourraient être ces mesures.

Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, a de son côté appelé Ottawa à « aider les communautés à retrouver nos enfants perdus », tandis que se sont multipliés ces derniers jours les appels à fouiller les autres anciens pensionnats dans le reste du pays. Ironie du calendrier, ce débat au Parlement a été organisé au premier jour du « mois national de l’histoire autochtone ».

L’Eglise critiquée

La tristesse se mêle à la colère. L’absence d’excuses du pape et de l’Eglise catholique pour le rôle de cette dernière dans la gestion des pensionnats autochtones au Canada est « honteuse », a jugé mardi Marc Miller, le ministre canadien des Services aux autochtones, alors que les appels de groupes autochtones à des excuses du pape se sont multipliés ces derniers jours.

« Il y a une responsabilité qui repose directement sur les épaules de la Conférence des évêques catholiques du Canada » (CECC), a-t-il ajouté. Cette dernière a estimé lundi que la découverte de Kamloops était « bouleversante » et fait part de sa « profonde tristesse ». Mais quelques heures après les déclarations du ministre, l’archevêque de Vancouver Michael Miller a présenté ses « excuses » sur les réseaux sociaux.

« A la lumière de la révélation bouleversante (de la découverte) des restes de 215 enfants de l’ancien pensionnat indien de Kamloops, je vous écris pour présenter mes sincères excuses et profondes condoléances aux familles et aux communautés qui ont été dévastées par cette terrible nouvelle », a déclaré Mgr Miller dans un communiqué.

Il s’est engagé à « faire preuve d’une transparence totale » en rendant accessibles les archives et dossiers de l’archidiocèse concernant tous les pensionnats. « L’Eglise a incontestablement eu tort de mettre en oeuvre une politique gouvernementale colonialiste qui a été dévastatrice pour les enfants, les familles et les communautés », a-t-il aussi jugé.

En 2018, les députés canadiens ont adopté une motion pour demander au pape des excuses personnelles au nom de l’Eglise catholique canadienne après s’être heurtés à un premier refus du pape François, qui avait suscité la déception du Premier ministre Justin Trudeau. En 2009, le pape Benoît XVI avait exprimé ses regrets pour les abus dont ont été victimes les enfants autochtones canadiens – indiens, métis et inuits – de la part de l’Eglise catholique, dénonçant la conduite « déplorable » de certains membres du clergé.

« Génocide culturel »

Depuis dimanche, le pays a mis ses drapeaux officiels en berne, et des cérémonies en mémoire des jeunes victimes ont eu lieu dans plusieurs régions du pays. Le pensionnat, situé sur le territoire de la communauté autochtone de Tk’emlúps te Secwépemc, à quelques centaines de kilomètres de la métropole de Vancouver, sur la côte Pacifique, a été le plus gros pensionnat autochtone au Canada. Il a accueilli jusqu’à 500 élèves dans les années 1950.

Créé en 1890 et géré par l’Église catholique puis par le gouvernement fédéral, il a fermé ses portes en 1977. D’autres pensionnats, près de 140 au total, ont perduré jusqu’à la fin du XXe siècle aux quatre coins du Canada. L’église et le gouvernement canadien, assurant vouloir « civiliser » les enfants autochtones en leur inculquant les valeurs occidentales, les retiraient de leur communauté et les plaçaient dans ces pensionnats où nombre d’entre eux ont subi des sévices physiques et sexuels. Des milliers d’entre eux sont morts ou ont disparu, selon le rapport d’une commission d’enquête.

La découverte de ces corps d’enfants a ravivé la colère des communautés autochtones, malgré les tentatives des gouvernements canadiens successifs de se réconcilier avec eux. Au total, quelque 150 000 enfants autochtones ont été enrôlés de force dans 139 pensionnats à travers le pays, où ils ont été coupés de leur famille, de leur langue et de leur culture. En 2015, une commission nationale d’enquête a qualifié ce système de « génocide culturel ».

L’Express