Même les observateurs distraits savent que les Béninois n’en ratent pas une au chapitre des mots proférés, pas forcément écrits, chez ce peuple grosso modo analphabète. Soulevé par l’étincelance de leur faconde en 1948, Emmanuel Mounier avait atterri chez eux en plein quartier latin parisien sous les tropiques dahoméens. Successeurs des Dahoméens, les Béninois, loin d’ignorer le mirage mouniériste, lui ont conféré réalité, ainsi qu’on en a eu la preuve récemment à la veille lointaine des législatives du 8 janvier 2023, quand le mot quitus prit du poil de la bête et envahit tous lieux, rues, buvettes, maisons, etc.
Les Béninois connaissaient le mot mais ont toujours jeté sur son contenu un voile des plus honteux. En effet, quand il s’agit de cet « Acte qui arrête un compte et qui atteste que la gestion de celui qui le tenait est exacte et régulière », tout bon Béninois choisit le camp du silence légèrement coupable. Sur le sujet quitus, le Béninois est d’une sincère humilité. Par exemple, s’il décide finalement, hors délai, de rembourser l’argent emprunté, il le fait à compte-gouttes, à intervalle irrégulier, accompagnant sa bonne volonté de la jérémiade sur « la dureté des temps », tant et si bien que le pauvre créancier, pour sauver un zest d’amitié et ne point paraître le tortionnaire de son ami, finit par céder : « Ecoute, n’y pensons plus, oublie le reste ! » Oui, le Béninois a du mal avec le quitus, beaucoup de mal á être quitte.
Vis-à-vis de l’Etat, la cause est unanimement entendue. Sur le non-quitus, les citoyens béninois ont conclu entre eux un pacte tacite mais inviolable, qui va du presque-parfait au plus-que-parfait de l’indicatif. « L’hydre fiscale » nous prend déjà sournoisement tout notre argent sur tout ce que nous consommons, et la loi, en plus, nous obligerait à des déclarions d’impôt pour remettre spontanément à l’Etat de l’argent et encore de l’argent ? Si cela s’appelle quitus et être quitte vis-à-vis de l’Etat, eh bien, l’Etat devra galérer et accepter d’être enfariné ! Et l’on est disposé à un bout de prison, d’exil ou de maquis, pour lui faire toucher du doigt à quel point on s’en balance de ses impôts et de son quitus.
Or l’inviolable consensus national sur le non-quitus a été violé sur le quitus à montrer par les citoyens désireux de se porter candidats à la députation. Le ci-dessus plus-que-parfait est devenu imparfait. Inattendue rupture. Les violeurs : ces gens-là veulent passer du côté de l’Etat pour créer des lois qui vont nous créer des problèmes. Et puis, couverts par l’immunité parlementaire, ils ne feront qu’engranger et ne paieront plus jamais rien. Alors, qu’ils payent maintenant, rubis sur l’ongle ! Quitus donc ! Les non-violeurs : si nous acceptons que ces gens-là montrent leur quitus, nous acceptons notre propre condamnation. Soyons donc zen, restons fidèles à jamais au non-quitus ! Logiques tranchées, opposées. Dans les buvettes, face aux bouteilles et aux canettes passées de vie à trépas, ambiance, furie verbale, bris de verre !
En venir aux mains ? Oh, que non ! Même au plus fort de la jactance, le Béninois le plus engagé n’engage pas son corps pour une idée ; la prison, l’exil ou le maquis, c’est encore la vie, mais l’hôpital, c’est peut-être la mort. Donc pas de bagarre.
Au demeurant, la Cour Constitutionnelle est intervenue pour trancher sagement entre les deux camps. Elle a si bien accordé violeurs et non-violeurs que la paix est sur le Bénin et sur les enfants du Bénin.
Et voici que cette décision circonstancielle de la Cour Constitutionnelle vaut appel subliminal à nos exilés pour cause de quitus. Assurés que l’arbitraire n’est pas béninois, que les juridictions sont indépendantes, ils s’empareront du courage de revenir, et la République les accueillera avec la dignité qu’elle doit à tous ses enfants, et dans le respect de la loi qui gouverne tous ses enfants.
En leur présence, en présence de leurs avocats, ils obtiendront le meilleur, toujours relatif. Puissent nos exilés revenir sur fond des vies du quitus.
Roger Gbégnonvi