Angéla Kpédja reste déterminée dans son combat contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel.
Angéla Kpédja reste déterminée dans son combat contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Dans un entretien accordé à nos confrères de Matin Libre, dans le cadre de la journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes célébrée ce mercredi 25 novembre 2020, la journaliste de l’ORTB et présidente de l’Ong “N’aie pas peur” a martelé qu’elle n’aura « pas de répit tant que ces bourreaux continueront leur sale besogne ». Entretien !!!
En ce jour où on célèbre la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, quel regard portez-vous sur la vie de la femme béninoise ?
J’ai mal quand je visite la vie de la femme béninoise. Elle est faite de préjugés et de stéréotypes sexistes. Et surtout en milieu du travail, les statistiques rapportées par les organisations de défense des droits de la femme font froid dans le dos. Plus de la moitié des femmes travailleuses ont déjà subi le harcèlement sexuel. À cette époque où toutes les filles doivent être inscrites à l’école et que tous les textes et lois du Bénin prônent l’égalité des sexes, tout ceci est inacceptable et inconcevable. Le plus dur pour moi a été de me rendre compte que l’un des freins à l’élimination des violences faites aux femmes est le manque de solidarité entre les femmes elles-mêmes. Nous devrions nous donner la main, comme les amazones de Danxomey, pour écrire autrement nos vies.
Justement, quel est l’impact des violences conjugales sur la santé des femmes ?
Les conséquences des violences sur la santé des femmes sont énormes. Une violence qui me choque à chaque fois, c’est celle du milieu médical avec pour cible la parturiente. Elle doit payer avant n’importe quel acte peu importe les douleurs, la souffrance du travail d’accouchement.
Mais parlons des conséquences des violences conjugales. C’est déjà sur la santé mentale de la victime (anxiété, insomnie, cauchemar, dépression…), les troubles psychosomatiques, les maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension artérielle et même l’infertilité sont au bout. Sur le plan physique, ce sont des coups et blessures avec des cicatrices indélébiles et même des séquelles invalidantes. Le pire, ce sont les décès pour violences. Les enfants sont les victimes secondaires car une enfance émaillée de violences engendre un adulte psychologiquement atteint avec la possibilité de reproduire les mêmes violences sur une tierce personne.
Mais avez-vous l’impression que les sensibilisations portent leur fruit?
Les sensibilisations valent ce qu’elles valent. Je n’ai vraiment pas l’impression qu’elles portent leur fruit tout simplement parce que la sociologie béninoise enferme la femme dans le mutisme malgré le cadre juridique qui la protège suffisamment. Tant que des procès pour punir ces bourreaux, ne vont pas se multiplier pour reconnaître les victimes en tant que telles, on ne bougera pas. Demandez aux hommes de droit, les avocats et autres magistrats, combien de procès de violences faites aux femmes vont jusqu’au bout pour rendre justice à la femme. Vous vous rendrez compte que nous sommes très loin de l’élimination des violences faites aux femmes. Très peu de femmes vont jusqu’au bout, à cause du regard de la société elle-même, des pesanteurs socioculturelles et même financières. Figurez-vous qu’il y a des associations de défense des droits de la femme qui exigent des honoraires pour enclencher la procédure judiciaire dans notre pays!
Il est prévu pour cette édition, 16 jours d’activisme à partir du 25 novembre. Ces actions peuvent-elles servir à quelque chose?
Ces actions participeront à mettre les projecteurs sur ces violences pour alerter les décideurs sur l’ampleur de celles-ci d’une part et d’autre part elles apporteront aux femmes des éléments pour identifier et apprécier ces horreurs.
Quelle place occupent les hommes dans cette sensibilisation?
Ah, les hommes ! J’ai toujours été sidérée de constater qu’ils viennent tous d’une femme et qu’en plus ils ont tous une ou des épouses et des sœurs sans pour autant faire preuve d’empathie à l’égard du sexe féminin. Un homme qui respecte sa mère, qui l’aime, ne devrait pas générer autant de violences à l’égard d’une femme fut-elle une épouse inintelligente, une employée. Mais à vrai dire, nous n’y arriverons jamais sans eux. Donc à votre question, je répondrai que leur rôle est primordial. Déjà au niveau familial, ils doivent être un bon repère pour la progéniture.
Que fait votre ONG à l’endroit des hommes et des femmes en vue d’une prise de conscience collective ?
Bien que “N’aie pas peur” ait choisi de participer à la lutte contre les violences faites aux femmes en général, le mot d’ordre de l’ONG est tolérance zéro au harcèlement sexuel en milieu professionnel. Nous voulons être un centre d’écoute, de soutien psychologique et juridique pour les victimes. À cet effet, nous avons des plateformes Twitter et Facebook pour vulgariser la loi portant protection et répression du harcèlement sexuel en milieu professionnel. Des psychologues et avocats répondent à nos questions pour la prévention et la riposte contre le harcèlement sexuel. Ensuite, nous avons un numéro WhatsApp pour encourager les victimes à témoigner, à se confier à nous pour que nous puissions les aider à déclencher la procédure de riposte contre le fléau. Et c’est encore le lieu de faire comprendre aux uns et aux autres que chaque minute de silence sur ces horreurs en milieu de travail est un gain pour les harceleurs et des victimes de plus. Il faut faire tomber les murs qui nous empêchent d’éclore librement nos talents pour prendre le chemin de la liberté dans nos choix.
Beaucoup vous considèrent aujourd’hui comme une figure historique de la lutte contre toutes formes de violences à l’égard des femmes. Quel message avez-vous à passer à ces dernières ainsi qu’aux autorités politiques ?
Je tiens réellement debout contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Je n’aurai pas de répit tant que ces bourreaux continueront leur sale besogne. Je voudrais ainsi remercier tous ceux qui croient en moi et me portent. Mais au-delà de ma personne, c’est une cause commune. Peu importent les jugements que les uns et les autres peuvent porter sur ma personne, donnons-nous la main pour un nouveau mode de recrutement et d’épanouissement pour nos filles, nos sœurs et nos femmes au travail.
C’est au président de la République que je voudrais enfin dire ceci: “il y a beaucoup de Angela dans l’ombre dans nos entreprises et administrations”. J’admire son courage et sa détermination à inscrire notre pays dans le concert des grandes nations. Un seul mot, une seule décision et nous serons libérées pour nous battre à ses côtés telles des amazones.
Propos recueillis par Mike MAHOUNA/Matin Libre