USA: Après une « insurrection », reprise de la certification de la présidentielle

USA: APRÈS UNE "INSURRECTION", REPRISE DE LA CERTIFICATION DE LA PRÉSIDENTIELLE© Reuters/JIM URQUHART USA: APRÈS UNE « INSURRECTION », REPRISE DE LA CERTIFICATION DE LA PRÉSIDENTIELLE

WASHINGTON (Reuters) – Des centaines de partisans de Donald Trump ont pénétré de force mercredi dans le Capitole dans le but de faire annuler la défaite du républicain lors de l’élection présidentielle américaine, forçant le Congrès à suspendre la certification des résultats donnant le démocrate Joe Biden victorieux.

La police a évacué les élus des deux chambres du Congrès et a lutté pendant plus de trois heures pour repousser les partisans de Donald Trump du Capitole, symbole de la démocratie américaine, où les contestataires ont déambulé dans les couloirs et mis sens dessus dessous des bureaux.

Une femme blessée par balle lors de ces incroyables scènes de chaos est décédée, a fait savoir la police de Washington, indiquant par la suite que le bilan s’était alourdi à quatre morts. Trois personnes ont succombé à des blessures survenues au Capitole, a-t-elle dit sans plus de précisions.

Le FBI a dit avoir désarmé deux engins explosifs présumés.

L’assaut sur le Capitole marque l’apogée de plusieurs mois de divisions et de rhétorique incendiaire autour de l’élection présidentielle du 3 novembre, dont Donald Trump a répété qu’elle lui a été volée dans le cadre d’une vaste fraude, exhortant ses partisans à l’aider à inverser sa défaite.

Ces scènes de chaos sont survenues après que Donald Trump, qui avait refusé de s’engager à une passation pacifique du pouvoir en cas de défaite, a pris la parole devant des milliers de manifestants près de la Maison blanche.

Il a galvanisé ses partisans en leur demandant de se diriger vers le Capitole pour exprimer leur colère, les incitant aussi à « se battre » en faisant pression sur les représentants électoraux locaux dans leurs Etats afin que ceux-ci rejettent les résultats du scrutin de novembre.

La police a fait usage de gaz lacrymogène à l’intérieur du Capitole pour disperser les émeutiers, dont l’un était parvenu jusqu’au siège habituellement occupé par le président du Sénat pour hurler que « Trump a gagné cette élection ».

Robert Contee, le chef de la police de Washington, a déclaré que des émeutiers ont attaqué des officiers avec des produits chimiques irritants, blessant plusieurs d’entre eux.

« VOUS N’AVEZ PAS GAGNÉ »

Le Capitole a été considéré comme sécurisé peu après 17h30 (22h30 GMT). Les élus ont fait leur retour dans les chambres du Congrès peu après 20h00 (jeudi 01h00 GMT) pour reprendre le processus de certification de l’élection présidentielle.

« A ceux qui ont semé aujourd’hui le chaos dans notre Capitole: vous n’avez pas gagné », a déclaré le vice-président Mike Pence, chargé de superviser le processus, à son retour au Sénat. « Remettons-nous au travail », a-t-il dit sous les applaudissements.

Le chef de la majorité républicaine au Sénat a qualifié l’intrusion d' »insurrection manquée » et a promis que les élus ne céderaient pas face à l' »anarchie et l’intimidation ».

« Nous avons repris nos postes. Nous allons remplir nos obligations dans le cadre de la Constitution et pour notre nation. Et nous allons le faire ce soir », a ajouté Mitch McConnell, qui a aidé Donald Trump à obtenir certains des principaux succès législatifs de son mandat.

Les parlementaires débattaient de l’ultime tentative d’élus pro-Trump pour contester les résultats de l’élection présidentielle, une démarche menée par une dizaine de sénateurs républicains qui a peu de chances d’aboutir.

La sénatrice républicaine Kelly Loeffler a dit qu’elle prévoyait de s’opposer à la certification de la victoire de Joe Biden mais avoir changé d’avis après les incidents. « Je ne peux pas en bonne conscience m’opposer à la certification de ces électeurs », a déclaré celle qui a échoué à être réélue en Géorgie lors d’un second tour de sénatoriales décisives.

Victorieux des deux sièges en lice dans cet Etat du Sud, le Parti démocrate s’est adjugé la majorité au Sénat américain et contrôle désormais avec une marge étroite les deux chambres du Congrès.

La maire de Washington, la démocrate Muriel Bowser, a ordonné mercredi l’imposition d’un couvre-feu dans l’ensemble de la capitale fédérale à partir de 18h00 (23h00 GMT).

Des soldats de la Garde nationale, des agents du FBI et les services secrets américains ont été déployés pour aider la police du Capitole, débordée par les événements.

« C’est ainsi que des résultats électoraux sont contestés dans une république bananière – pas dans notre république démocratique », a déclaré l’ancien président républicain George W. Bush. « Je suis consterné par le comportement insouciant de certains dirigeants politiques depuis l’élection », a-t-il ajouté dans un communiqué, sans mentionner directement Donald Trump.

Le prédécesseur démocrate de Trump à la Maison blanche, Barack Obama, et des dirigeants du monde entier parmi lesquels le président français Emmanuel Macron ont exprimé leur choc.

« À LA LIMITE DE LA SEDITION »

Joe Biden, qui a battu Donald Trump lors du scrutin du 3 novembre et doit être investi à la présidence américaine le 20 janvier, a déclaré que le comportement des manifestants était sans contestation possible « à la limite de la sédition ».

« Ce n’est pas une manifestation, c’est une insurrection », a ajouté l’ancien vice-président démocrate en citant l’envahissement du Congrès et de ses bureaux, les vitres brisées et les menaces pour la sécurité de représentants élus.

S’exprimant par la suite dans une vidéo publiée sur Twitter, Donald Trump a réaffirmé que sa victoire lui avait été volée, tout en demandant à ses partisans de quitter les lieux. « Vous devez rentrer chez vous, nous avons besoin de paix », a-t-il dit, ajoutant: « Nous vous aimons. Vous êtes très spéciaux ».

Twitter a ensuite empêché les utilisateurs de la plateforme de relayer la vidéo publiée par Donald Trump, suspendant le compte du président américain, tandis que Facebook a tout simplement retiré la vidéo.

Par sécurité, au moment des émeutes, les élus de la Chambre des représentants ont reçu pour consignes de se munir du masque à gaz placé sous leurs sièges et de se mettre au sol. Des policiers ont sorti leurs armes lorsqu’un contestataire a tenté de pénétrer dans la Chambre.

La police a placé du mobilier derrière les portes pour tenter d’empêcher l’intrusion, a déclaré l’élu démocrate Jason Crow à la chaîne de télévision MSNBC.

Plusieurs centaines d’élus, conseillers et journalistes ont ensuite été évacués vers un lieu resté confidentiel.

Des représentants électoraux des deux partis, des observateurs indépendants et le département américain de la Justice ont dit n’avoir constaté aucune fraude importante lors de l’élection présidentielle.

Les multiples recours engagés par la campagne Trump devant des tribunaux à travers le pays ont tous échoué.

Joe Biden a remporté le scrutin avec plus de 7 millions de votes populaires de plus que Donald Trump. Le démocrate a obtenu 306 voix au Collège électoral, contre 232 pour le président républicain sortant.

Donald Trump a fait pression sur Mike Pence pour qu’il rejette les résultats certifiés par des Etats clés où le président sortant s’est incliné de peu face à son rival démocrate, bien que le vice-président n’en a pas l’autorité aux termes de la Constitution des Etats-Unis.

REUTERS/Patricia Zengerle, Jonathan Landay et David Morgan

Un premier sénateur noir pour l’État de la Géorgie

Le symbole est puissant : pour la première fois de son histoire, la Géorgie a élu au Sénat un Afro-Américain, Raphael Warnok, pour représenter cet ancien État confédéré.

Pour la première fois de son histoire, la Géorgie a élu au Sénat un Afro-Américain, Raphael Warnok, pour représenter l’ancien État confédéré.© Jim Watson Archives Agence France-Presse Pour la première fois de son histoire, la Géorgie a élu au Sénat un Afro-Américain, Raphael Warnok, pour représenter l’ancien État confédéré.

Un retournement de l’histoire que le pasteur n’a pas manqué de souligner peu après sa victoire, confirmée dans la nuit de mardi à mercredi : « Parce que ceci est les États-Unis, les mains âgées [de ma mère] de 82 ans qui ramassaient le coton d’un producteur ont pu se rendre aux urnes pour choisir son plus jeune fils pour devenir un sénateur américain. »

Aux États-Unis, « tout est possible, et c’est pourquoi j’aime tant ce pays », a ajouté l’homme de 51 ans mercredi matin sur les ondes de CNN.

Celui qui a été choisi il y a 14 ans pour devenir pasteur à l’église baptiste Ebenezer, où officiait Martin Luther King Jr., a d’ailleurs annoncé qu’il souhaitait continuer à prêcher tous les dimanches pour maintenir ce contact intime avec le peuple américain.

Selon les derniers résultats disponibles, après le dépouillement de 98 % des votes, Raphael Warnok a remporté 50,6 % des voix. Son opposante, la sénatrice républicaine sortante Kelly Loeffler, a pour sa part mis la main sur 49,4 % des suffrages. Dans la deuxième course sénatoriale en Géorgie, le démocrate Jon Ossoff menait en début d’après-midi avec 50,2 % des voix, alors que le sénateur actuel, David Perdue, le suivait de près avec 49,8 % des suffrages.

Bien qu’aucun grand média n’ait encore confirmé sa victoire, le jeune démocrate de 33 ans a diffusé en début de journée mercredi une déclaration virtuelle dans laquelle il mentionne que « c’est avec humilité qu[’il] remercie le peuple de la Géorgie de [l]’avoir élu pour le servir au Sénat américain ».

Dans un communiqué diffusé mercredi, le président désigné des États-Unis, Joe Biden, s’est aussi dit convaincu de la victoire prochaine des deux candidats démocrates. « [Les électeurs de la Géorgie] veulent de l’action face aux crises que nous traversons. Sur la COVID-19, sur le soutien économique, sur le climat, sur la justice raciale, sur le droit de vote et sur tant d’autres sujets. Ils veulent que nous avancions, mais que nous avancions ensemble », a-t-il déclaré.

Dépouillement

Dans un immense hangar bétonné au sous-sol du Georgia World Congress Centre, des dizaines d’employés électoraux s’affairaient toujours à ouvrir les enveloppes, mercredi midi, puis à acheminer les bulletins dans de grands bacs blancs de l’United States Postal Service vers des scanneurs. Une fois compilés, les résultats sont ensuite envoyés par voie électronique aux instances électorales, explique sur place Regina Waller, responsable des communications pour le département des élections du comté de Fulton. « Le tout doit être terminé à 15 h cet après-midi. »

Pour cette chaude lutte en Géorgie — qui permettra de déterminer qui, des démocrates ou des républicains, contrôlera le Sénat — plus d’un million d’électeurs ont voté par la poste et plus de deux millions ont voté par anticipation.

Mardi soir, le président Trump — continuant d’affirmer que l’élection présidentielle lui a été volée et que le processus électoral est frauduleux — y est allé d’une nouvelle déclaration incendiaire sur le processus électoral en Géorgie : « On dirait qu’ils sont en train de mettre en place une grande “décharge électorale” contre les candidats républicains. En attendant de voir de combien de votes ils ont besoin ? » a-t-il écrit sur Twitter.

Double camouflet

Cette rhétorique, répétée à n’en plus finir par le président sortant depuis sa défaite du 3 novembre, pourrait d’ailleurs avoir découragé des électeurs républicains à se rendre aux urnes pour le deuxième tour des élections sénatoriales, croient plusieurs observateurs. Dans ce qui était probablement le dernier grand rallye de sa présidence, Donald Trump avait néanmoins imploré ses partisans, rassemblés lundi soir à l’aéroport régional de Dalton, dans le nord-ouest de la Géorgie, d’aller voter pour bloquer l’élection des deux candidats démocrates, dépeints comme des « extrémistes radicaux de gauche ».

Mais le vent semble avoir bel et bien tourné en Géorgie, un État traditionnellement républicain qui a créé la surprise en novembre en élisant Joe Biden à la présidence par une mince avance de 12 000 voix (0,2 % du suffrage). Les efforts de la communauté noire pour faire inscrire ses membres sur les listes électorales — des efforts menés notamment par Stacey Abrams, ex-candidate démocrate au poste de gouverneur de la Géorgie, et par les mouvements New Georgia Project et Fair Fight — pourraient avoir joué un rôle névralgique dans l’issue du vote.

Depuis l’élection de novembre, la Géorgie se trouve au cœur des attaques de Donald Trump contre l’intégrité du processus électoral. Lundi soir, face à la foule conquise d’avance qui scandait « Fight for Trump » sous d’immenses drapeaux américains accrochés à des grues, le président sortant avait d’ailleurs promis de revenir en Géorgie « dans un an et demi pour faire campagne contre [le] gouverneur et [le] secrétaire d’État », tous deux des républicains, mais qui ont refusé de renverser les résultats de la présidentielle à sa faveur. Le président s’était également dit amèrement déçu de la Cour suprême, instance à laquelle il a nommé trois juges conservateurs, mais qui n’est pas intervenue pour bloquer l’élection de Joe Biden. « La Cour suprême nous a abandonnés », a-t-il dit.

La possible double victoire démocrate en Géorgie — qui pourrait être confirmée dans la journée de mercredi — survient le jour même où le Congrès se réunit à Washington pour certifier la victoire de Joe Biden, un double camouflet pour Donald Trump.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat–Le Devoir.