Valentin Djènontin a publié, ce jeudi 30 juin 2022, l’épisode 7 ‘‘Ma Prophétie’’. L’ancien ministre de la Culture a notamment fait des troublantes révélations sur le projet de l’aménagement de l’embarcadère d’Abomey-Calavi avec une digue de traversée. Lire son développement ci-dessous.
MA PROPHETIE | Episode 7 : 30 Juin 2022
L’embarcadère d’Abomey-Calavi.
A ma prise de service, j’ai demandé la fiche récapitulative exhaustive des projets en cours dans le département ministériel.
A la lecture de ladite fiche, j’ai remarqué avec stupéfaction et pincement au cœur qu’il y avait beaucoup d’infrastructures en souffrance au titre de l’ancien Ministère du Tourisme pour diverses raisons : crédits insuffisants, abandon par le prestataire, etc…
Au nombre des projets initiés dans le Ministère, il y avait le projet « Aménagement et assainissement des embarcadères du Bénin».
Dans le lot, j’ai découvert un projet qui a particulièrement retenu mon attention à plus d’un titre étant donné d’une part que ce projet était capital, non seulement pour l’assainissement de l’embarcadère mais aussi et surtout permettrait de relier Ganvié, (site touristique par excellence) à la grande commune d’Abomey-Calavi, façade d’entrée à la Commune lacustre de Sô-Ava ; d’autre part, ce projet s’exécutait dans ma ville de résidence, ma circonscription électorale (je l’avoue). Il s’agit du projet de l’aménagement de l’embarcadère d’Abomey-Calavi avec une digue de traversée.
J’ai demandé à examiner le contrat du marché relatif à l’embarcadère d’Abomey-Calavi.
Grande a été ma surprise de remarquer que ce projet, vieux de plusieurs années mais qui n’a jamais démarré, n’était conclu que pour une durée d’exécution de 6 mois maximum.
En cherchant à comprendre ce qui empêchait l’exécution des travaux, les cadres du Ministère m’avaient expliqué que le prestataire avait introduit un avenant au contrat qui n’a jamais été signé.
Afin de me faire ma propre religion du dossier, j’ai demandé à recevoir en audience le prestataire aux fins de m’enquérir de ses difficultés à réaliser les travaux.
Grande a été ma déception de me retrouver en face d’un homme hautain, intimidateur, manipulateur et violent.
Se cachant derrière l’avenant qui n’avait pas été signé et qui n’avait jamais été prévu au contrat initial, mais qu’il a malicieusement introduit pour modifier les termes de l’engagement financier (offres financières) pris auprès de l’administration publique, il était fermé à toute explication ; il ne voulait rien comprendre, sinon qu’obtenir son avenant par ruse.
Il ne se souciait nullement des pénalités qui s’accumulaient contre lui pour retard d’exécution.
Mon interlocuteur que j’essayais vainement d’amener à la bonne lecture et compréhension des clauses du contrat pour soigner l’image de son entreprise n’a pas hésité à me cracher à la figure qu’il est professeur d’université (situation aggravante à mon avis) et que je ne pouvais pas lui dire que la non exécution du contrat résultait de son fait et par conséquent qu’il avait l’obligation d’exécuter le contrat au risque d’exposer son entreprise aux conséquences de la non exécution de marché public.
J’avoue n’avoir pas aimé cette indélicatesse malgré toute mon humilité habituelle. J’avais calmement répliqué à ce prestataire : Monsieur, vous êtes peut-être professeur d’université ; je ne souhaite pas en savoir davantage. Mais, Enarque que je suis, vous ne m’avez jamais enseigné et vous ne le pouviez même pas. Je vous prie de faire profil bas et reconnaître votre faute, puis travailler à réparer les préjudices causés à l’administration publique sinon je vais faire engager la procédure de rupture de votre contrat même au prix de mon fauteuil puisque vous semblez compter tellement sur vos appuis dans l’appareil d’Etat.
Je souligne à propos, que l’une des graves tares de l’administration béninoise est la complaisance qui résulte des trafics d’influence. Certains cadres subissent trop facilement, soit activement par complicité, soit passivement par peur, les caprices de certains fournisseurs ou prestataires de services qui font usage de menaces comptant sur leurs appuis supposés ou non dans le cercle du pouvoir.
Beaucoup de Directeurs Généraux de sociétés d’Etat, Ministres subissent le diktat de ces opérateurs économiques qui ont la main mise sur les marchés publics puisque maîtrisant à coup de corruption tout le système de passation des marchés publics avec une domination sur le circuit financier : les services de la Direction Générale du Budget, de la Direction du Contrôle Financier, de la Direction du Trésor Public, du Receveur Général et de la Direction du Contrôle des Marchés Publics. Il s’agit d’une puissante machine des ténèbres qui broie sans ménagement les cadres rebelles quand leurs intérêts sordides sont en jeu. C’est affreux et pitoyable !
Je suis sorti de cet entretien frustré mais très déterminé à faire aboutir le projet pour le bonheur de la population et des visiteurs touristiques car l’image qu’affichait l’embarcadère d’Abomey-Calavi avec des tas d’immondices et l’impraticabilité de l’accès aux barques pour Ganvié était dégoûtante.
La lecture des clauses du contrat doublée des échanges avec le prestataire a renforcé ma conviction que le prestataire était dans la délation juste pour extorquer de l’argent au trésor public. Il n’était nullement fondé à réclamer un avenant à un contrat de durée d’exécution maximale de 6 mois qui n’a connu le moindre début d’exécution.
Aucune modification n’a été apportée au projet initial par le Maître d’ouvrage. Aucun évènement spécifique nouveau n’est intervenu dans le projet qui puisse justifier un avenant. Le renchérissement du coût des matériaux évoqué par le prestataire n’était que de sa faute pour n’avoir pas exécuté le projet dans le délai imparti (3 à 6 mois) puisqu’il courait après un hypothétique avenant pour se faire plus d’argent.
Au total, il ressort de toutes les analyses du dossier que la non réalisation des travaux résultait d’une astuce préméditée du prestataire, probablement pour gagner le marché en proposant peut-être une offre financière moindre que ses concurrents; sachant que plus tard, il sortira la carte d’avenant pour augmenter le coût de réalisation des travaux.
Il convient simplement de noter que la pratique de l’avenant aux contrats de marchés publics au Bénin est parfois et très souvent détournée de son objectif initial prévu et encadré par les dispositions du code des marchés publics et des commandes publiques. Il devient souvent un mécanisme de fraude insidieusement et malhonnêtement pratiqué par certains fournisseurs et prestataires en complicité avec les responsables de la chaîne de passation des marchés publics pour gruger l’Etat.
En effet, pour pouvoir gagner le marché, ces prestataires ou fournisseurs minimisent leurs offres financières pour paraître moins disant par rapport à leurs concurrents. C’est une pratique qui fausse totalement le jeu de la libre concurrence avec des conséquences dommageables à la bonne exécution des chantiers d’Etat. L’avenant, surtout lorsqu’il n’est pas pratiqué selon les règles de l’art pénalise non seulement les concurrents mais surtout les finances publiques. Il crée des surcoûts qui souvent entraînent l’abandon des chantiers en cours de réalisation pour défaut de financement ou insuffisance de crédits.
Les spécialistes de cette pratique comptent souvent sur la dotation budgétaire inscrite à la rubrique « charges non réparties » pour financer leurs opérations, bénéficiant la plupart du temps de la complicité des responsables de la chaîne des dépenses publiques pour faire prospérer leurs affaires.
Le danger dans la plupart des cas est qu’en raison de la rareté des ressources et de la rationalisation des dépenses publiques avec moins de crédits « charges non réparties » dans le budget des Ministères, le nombre de chantiers inachevés se multiplie créant ipso facto des éléphants blancs.
Ayant découvert la supercherie, la mauvaise foi du prestataire dans un océan d’arrogance, de mépris, de trafic d’influence, j’ai résolu de sacrifier au besoin mon poste pour l’affronter afin d’obtenir l’exécution de l’ouvrage pour doter la commune d’Abomey-Calavi de cet important ouvrage fort utile pour l’économie touristique et les finances locales des communes de Calavi et de Sô-Ava.
Tous les usagers et visiteurs habitués à l’embarcadère d’Abomey-Calavi avant 2011, soit pour se rendre à Ganvié, soit pour s’approvisionner en poissons frais devraient bien se souvenir de l’état d’insalubrité criard des lieux et des difficultés de franchissement.
Avec foi, ténacité, courage, et fermeté, j’ai pu ressusciter et mettre à flot ce projet qui a repris corps par le démarrage des travaux. Le prestataire n’ayant pas eu gain de cause avec moi a dû se résoudre à démarrer les travaux que mon successeur est venu conduire à terme.
La leçon que j’ai tirée de cet exercice dont les cas similaires foisonnent dans tous les Ministères est que l’avidité, la cupidité de certains opérateurs économiques et de certains cadres complices associés sont à l’origine de la plupart des chantiers abandonnés que l’on qualifie d’éléphants blancs.
Parfois, c’est la haine de certains natifs dans certaines régions contre un régime et leur manque de patriotisme qui hypothèquent la réalisation de grandes infrastructures aujourd’hui qualifiées d’éléphants blancs, de musée de la honte dans une partie du pays.
Dans l’administration publique béninoise, il y a une légion de ces hommes d’affaires, spécialistes des marchés publics atrophiés. Ils ont des entrées faciles aux hommes influents de l’Etat, aux décideurs publics et surtout aux responsables de la chaîne des dépenses publiques.
Ils sont parfois si puissants qu’ils parviennent facilement à instrumentaliser certains ordonnateurs délégués, certains directeurs administratifs et financiers qui deviennent leurs ouvriers et qui leur doivent obéissance et soumission. Ces fournisseurs et prestataires deviennent des donneurs d’ordre dans l’administration en raison de leur réseau d’influence dans l’appareil d’Etat.
Les responsables publics qui manquent d’intégrité, de probité, d’autorité, de courage mais qui sont très enclins aux gains faciles deviennent rapidement leurs proies.
L’amour de l’argent, l’exhibitionnisme, le paraître ont tellement pris le pas sur l’être et la morale que sans un effort librement consenti de tous à la culture d’un minimum de valeurs morales et de dignité, la lutte contre la corruption demeurera encore longtemps, lettres mortes dans notre pays.
Les hommes intègres continueront à être la risée des hommes sales puisque notre société est formatée de telle manière que seul l’avoir est célébré. On n’a cure des valeurs morales, de la dignité, de l’humilité, de la loyauté et de la fidélité.
« Car l’amour de l’argent est une racine de tous les maux ; et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments. Pour toi, homme de Dieu, fuis ces choses, et recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la patience, la douceur. »
1 Timothée 6 : 10-11
DJENONTIN-AGOSSOU Valentin