Les chiropraticiens du Québec reçoivent un nombre record de patients souffrant de douleurs causées par le télétravail. Après des mois loin du bureau, les gens composent encore trop souvent avec des postes de travail inadéquats qui se voulaient temporaires.© iStock Avec le report des périodes de confinement, trop de gens s’habituent à des postes de travail qui se voulaient au départ temporaires, déplore Carol-Anne Gauthier, une chargée de cours à l’Université Laval qui donne des cours sur le télétravail.
« Je peux vous dire que les chiropraticiens ne manquent pas du tout de travail présentement », répète le président de leur ordre, Jean-François Henry. Les problèmes reliés aux mauvais postes de travail se sont multipliés « par cinq », voire « par dix », dit-il.
Les gens se présentent chez le chiropraticien avec des syndromes du tunnel carpien, des tendinites aucoude, au poignet, à l’épaule, des problèmes de cou, des maux de tête causés par des écrans trop bas. Certains développent aussi des problèmes au nerf sciatique, poursuit le Dr Henry. « Il y a vraiment une recrudescence de ce type de problèmes là. »
Fin mai, près de 50 % des Québécois travaillaient de leur domicile, selon l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ). Dans une note mise à jour en juillet, ses chercheurs plaidaient pour qu’on porte « une attention particulière » à leurs conditions de travail, et notamment à l’ergonomie.
Une étude de la Santé publique française publiée en octobre a démontré que, sur 2113 personnes n’ayant pas souffert de lombalgie avant la pandémie, 10,4 % en avaient développé depuis. Chez les gens qui s’étaient initiés au télétravail à cause du confinement, cette proportion s’élevait à 16 %. « Alors que l’épidémie de COVID-19 est de nouveau dans une phase croissante, des mesures pourraient être proposées aux travailleurs pour prévenir un nouvel accroissement du tribut de la lombalgie et de ses conséquences », écrivaient-ils.
Temporaire ou permanent ?
Avec le report des périodes de confinement, trop de gens s’habituent à des postes de travail qui se voulaient au départ temporaires, déplore Carol-Anne Gauthier, une chargée de cours à l’Université Laval qui donne des cours sur le télétravail. « En ce moment, le télétravail n’est pas organisé, structuré, constate-t-elle. Les gens n’ont pas tous une pièce, un endroit spécifique où travailler. Ils n’ont pas nécessairement l’espace ou le budget pour s’équiper d’un bureau vraiment ergonomique et n’ont pas nécessairement les connaissances pour le faire. »
Les employeurs non plus n’ont pas tous les mêmes ressources, fait-elle remarquer. « Dans les centres d’appels par exemple, ils ont intégré depuis longtemps des politiques de télétravail. Les employés ont de l’argent pour s’équiper, ils peuvent faire appel à des ergothérapeutes. Des entreprises comme Desjardins sont aussi très organisées ». Pour les plus petits employeurs, il en va toutefois souvent autrement.
Paradoxalement, lorsque les gens sont bien installés, la recherche a démontré que le télétravail pouvait grandement améliorer la qualité de vie des gens, souligne Mme Gauthier. « Les gens sont plus actifs, il y a une réduction du stress, et certaines études démontrent que ça aiderait à réduire les problèmes musculo-squelettiques. »
Les employeurs devraient penser à la prévention, plaide-t-elle. « Si une personne souffre de troubles musculo-squelettiques, elle va en avoir pour des années à s’en remettre. [Et au bout du compte], ça va entraîner des coûts liés à l’assurance invalidité ». Le gouvernement pourrait également faire des propositions incitatives sous forme de crédits d’impôts ou de subventions aux dépenses en ergonomie, suggère-t-elle également.
En octobre dernier, le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre et le ministre du Travail, Jean Boulet, avaient recommandé aux employeurs de se doter de politiques pour encadrer le télétravail. Le ministre était toutefois opposé à l’implantation d’une politique générale applicable à tous les milieux.
Isabelle Porter/LE DEVOIR