Au Burkina Faso, c’était il y a quasiment un an jour pour jour : le capitaine burkinabè Ibrahim Traoré renversait le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba et prenait le pouvoir. Un second putsch en l’espace de seulement huit mois justifié par l’incapacité du pouvoir à faire face à la poussée des groupes jihadistes dans le pays. Le 28 septembre, le gouvernement a annoncé avoir déjoué une tentative de coup d’État. Un an après l’arrivée du capitaine Traoré, où en est le Burkina Faso sur les plans sécuritaire et politique ? Entretien avec Francis Kpatindé, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest et maître de conférences à Sciences Po Paris.
Au Burkina Faso, c’était il y a quasiment un an jour pour jour : le capitaine burkinabè Ibrahim Traoré renversait le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba et prenait le pouvoir. Un second putsch en l’espace de seulement huit mois justifié par l’incapacité du pouvoir à faire face à la poussée des groupes jihadistes dans le pays. Le 28 septembre, le gouvernement a annoncé avoir déjoué une tentative de coup d’État. Un an après l’arrivée du capitaine Traoré, où en est le Burkina Faso sur les plans sécuritaire et politique ? Entretien avec Francis Kpatindé, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest et maître de conférences à Sciences Po Paris.
RFI : Francis Kpatindé, quel bilan peut-on dresser de l’action du capitaine Traoré, un an après sa prise de pouvoir ?
Francis Kpatindé : Bilan très très très mitigé. Le territoire n’est pas libéré, bien entendu. Il y a deux millions de déplacés internes, il y a des milliers de réfugiés dans les pays voisins, surtout au nord de la Côte d’Ivoire, et il y a quand même aussi des milliers de morts. Cette situation désarticule non seulement le Burkina Faso, mais fragilise les pays voisins et ouvre des corridors d’accès à la mer aux jihadistes.
Vous le disiez, les chiffres ne plaident pas en faveur de la junte : 6 000 personnes ont été tuées depuis le début de l’année, un chiffre en nette augmentation. Il y a ces deux millions de déplacés, un million d’enfants déscolarisés, car certaines zones dans le nord et dans l’est sont, de fait, sous blocus jihadiste.
Absolument ! Le régime n’arrive pas à faire ce qu’il reprochait à ses prédécesseurs : c’est-à-dire ne pas assurer la sécurité. La situation va de mal en pis, puisqu’aujourd’hui il y a près de la moitié du territoire burkinabè qui échappe au gouvernement en place. Et ce n’est pas avec le concours des VDP, des supplétifs civils de l’armée, qu’on va pouvoir faire peut-être avancer les choses.
Est-ce que le problème ne vient pas justement de cette stratégie du tout sécuritaire ?
Le problème c’est qu’il n’y a plus de vie politique au Burkina depuis l’avènement du capitaine Ibrahim Traoré. Ils ont suspendu les activités politiques. Donc, il n’y a que le tout sécuritaire. Ça peut se comprendre, à condition que ça ne dure pas éternellement. Un pays a besoin d’idées neuves, a besoin de confrontations d’idées pour nourrir la sécurité. Cette sécurité, c’est une chose trop sérieuse pour être uniquement confiée aux militaires.
Les soldats français ont quitté le pays en février dernier à la demande des autorités burkinabè. Ouagadougou s’est depuis rapprochée de Moscou comme on a pu le voir lors du Sommet Russie-Afrique de fin juillet. La Russie aide-t-elle aujourd’hui le pays à lutter contre les groupes jihadistes ?
Le Burkina ce n’est pas tout à fait comme le Mali où la présence du groupe Wagner est avérée et massive. Au Burkina, ils sont beaucoup plus discrets. Le problème, c’est ce que je disais tout à l’heure : quitter la France, en-soi, on peut comprendre… Mais est-ce que quitter un maître, un ancien colonisateur, pour une allégeance avec un nouveau, ce n’est pas une libération, ce n’est pas retrouver une pleine souveraineté, que de confier son destin à d’autres. Ce qu’il faut, c’est à la fois s’organiser ou défendre le territoire et essayer d’organiser des élections dans la foulée, mais une élection qui soit incontestable et qui évite que dans les mois à venir, les années à venir, des militaires ne soient tentés de se saisir à nouveau du pouvoir.
Lors du sommet de Saint-Pétersbourg entre la Russie et l’Afrique, le capitaine Traoré s’en est pris à ses homologues africains qui tendent la main aux Occidentaux « comme des mendiants », a-t-il dit. Ce qui a donné lieu à une passe d’armes entre lui et le Sénégalais Macky Sall. Le numéro un burkinabè veut jouer les troubles fêtes à la façon de Thomas Sankara dont il revendique l’héritage. En a-t-il l’envergure selon vous ?
Moi, je fais partie des journalistes qui ont connu Thomas Sankara. C’était une autre dimension, c’était autre chose, c’était quelqu’un qui connaissait le monde entier, qui connaissait les rapports de forces, et qui jouait avec ça. Ce qui s’est passé à Saint-Pétersbourg, c’est à mettre sur le compte de l’extrême jeunesse politique du capitaine Ibrahim Traoré.
Depuis un an, certains notent un vrai recul des libertés individuelles. La liberté de parole existe-t-elle encore au Burkina Faso ?
Difficilement, même si j’ai noté que les trois journalistes qui ont interviewé le président Ibrahim Traoré l’ont fait de manière assez libre : certaines questions gênantes ont été posées. Mais le fait est là qu’il n’y a plus d’activité politique et qu’il y a des mesures de rétorsion injustifiées contre certains médias. Le dernier en date c’est Jeune Afrique, dont les publications ont été suspendues là-bas pour avoir parlé d’un malaise dans l’armée, que quelques jours plus tard le capitaine Ibrahim Traoré a lui-même reconnu.
Et puis on retiendra aussi ces déclarations du capitaine Traoré : « Les libertés individuelles ne doivent pas primer sur les libertés collectives. Soit vous êtes avec la patrie, soit vous êtes contre la patrie… »
C’est assez étonnant aujourd’hui d’entendre ça, ça ne se justifie pas. Les gens ont besoin de partager leur opinion, leurs avis avec la junte qui n’a pas le monopole de la vérité, qui n’a pas le monopole de la pensée, qui ne peut pas avoir le monopole du débat politique.
La situation au sein de l’armée est visiblement tendue : le gouvernement a annoncé la semaine dernière avoir déjoué une tentative de coup d’État. Diriez-vous que le pouvoir du capitaine Traoré est aujourd’hui fragile ?
Absolument. Il est déjà fragile par la situation sociale, la situation économique, la situation sécuritaire… Et ajouté à cela le malaise au sein de l’armée. Visiblement certains officiers supérieurs ne sont pas d’accord avec la ligne qui est suivie aujourd’hui et essayent de le faire entendre. Il n’est pas exclu qu’il y ait eu des tentatives de putsch. Mais toujours est-il qu’on a annoncé officiellement qu’il y a quatre officiers qui ont été arrêtés et qu’il y en a deux qui sont en fuite, notamment des gens du renseignement.
Source : Rfi