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Participation annoncée de l’opposition aux législatives : Siméon Kouadio Konan critique et interpelle Bédié, Gbagbo, …

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A travers une lettre ouverte adressée à Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et consorts,  Siméon Kouadio Konan, ancien candidat à la présidentielle de 2021  interpelle l’opposition ivoirienne sur sa participation annoncée aux législatives de 2010. Visiblement en désaccord avec cette option,  il porte des réserves et s’interroge « Dans le contexte fragile actuel, alors que le peuple porte encore le deuil de ses martyrs, alors même que le régime n’a encore daigné entreprendre la moindre véritable action de compassion, d’apaisement et de conciliation à l’endroit des populations qui continuent de pleurer leurs morts, alors que les communautés demeurent sur pied de guerre, se précipiter à aller à des élections sous le fallacieux prétexte du respect d’une constitution qui aura elle-même mainte fois été atrocement violée à volonté, ne relèverait-elle pas d’une grave insouciance et d’une grande irresponsabilité ? ». Lire l’intégralité de sa lettre.

Manassé AGBOSAGA

Konan Kouadio Siméon

LETTRE OUVERTE A L’OPPOSITION IVOIRIENNE

Abidjan, le 10 janvier 2021

Objet : Législatives du 06 mars 2021

Mesdames et Messieurs,

J’ai suivi avec un grand intérêt, la conférence de presse de la coalition des plateformes et des partis politiques de l’opposition, le jeudi 07 janvier 2021, conférence au cours de laquelle a été annoncée officiellement, la participation de ladite coalition aux législatives du 06 mars 2021. Pour justifier cette décision, les conférenciers qui n’ont pas manqué de réaffirmer que pour l’opposition, le pouvoir en place était illégitime et illégal, ont avancé les raisons et objectifs suivants :

– Empêcher le pouvoir RHDP de contrôler l’ensemble de tous les pouvoirs et d’orchestrer une mainmise totale sur notre pays, ses institutions et son peuple ;

– Assurer à la coalition des plateformes et des partis politiques de l’opposition, la majorité absolue au Parlement pour lui permettre de reconstruire un Etat de droit”,

– Montrer que le RHDP, s’il ne triche pas, est extrêmement minoritaire.

Par quelle alchimie assure-t-on la légitimité et la légalité d’une élection organisée par un pouvoir lui-même illégitime et illégal ?

Comment arrive-t-on à se convaincre qu’un pouvoir qui n’a pas hésité à transformer, aux yeux et au su du monde entier, un taux de participation inférieure à 10% à plus de 60%, va ‘’octroyer’’ la majorité parlementaire à l’opposition ?

Y a-t-il souvenance dans les minutes du parlement ivoirien et dans ce système ‘’d’enveloppes parlementaires’’, un seul exemple où une opposition parlementaire même majoritaire a-t-elle pu faire échec à un projet de loi de l’exécutif ? – Pour votre gouverne, le FPI était sorti minoritaire des urnes aux législatives de 2000. Cela ne l’a pas empêché de s’arroger la majorité à l’assemblée pour faire passer toutes ses lois –

Qu’y a-t-il encore besoin de montrer ‘’l’extrême minorité du RHDP’’ ? et à qui ? Le cinglant désaveu et le NON retentissant du 31 octobre ne sont-ils pas suffisants ?

Finalement, qu’en est-il du dialogue national ? Quid du préalable minimum de ‘’la libération des personnes, jeunes, femmes, cadres de la société civile et leaders politiques incarcérés’’ ?

Voilà des questions dont les réponses pourraient bien aider les nombreux ivoiriens qui s’emblent totalement perdus devant les raisons de cette décision que la raison elle-même semble ignorer.

En démocrate convaincu et ayant en sacerdoce la réconciliation nationale et la paix sociale, j’applaudirais des deux mains si cette option venait à nous mettre en capacité de nous délivrer de la dictature actuelle. Toutefois, dans ma posture de sentinelle éclairée, permettez-moi, avec tout le respect que j’ai pour les Présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo ainsi que pour toutes les éminentes personnalités de l’opposition, de douter du bien fondé et de la sagesse de cette décision en ce qu’elle est indubitablement porteuse de risques évidents de récidives et de résurgence d’affrontements, de violence et de tragédie nationale. En effet, Dans le contexte fragile actuel, alors que le peuple porte encore le deuil de ses martyrs, alors même que le régime n’a encore daigné entreprendre la moindre véritable action de compassion, d’apaisement et de conciliation à l’endroit des populations qui continuent de pleurer leurs morts, alors que les communautés demeurent sur pied de guerre, se précipiter à aller à des élections sous le fallacieux prétexte du respect d’une constitution qui aura elle-même mainte fois été atrocement violée à volonté, ne relèverait-elle pas d’une grave insouciance et d’une grande irresponsabilité ? Devrions-nous nous accommoder d’élections meurtrières dans notre pays ? Devrions-nous considérer comme étant congénital et donc normal le fait des affrontements et des morts à chaque élection en Côte d’Ivoire ?

En dehors de quelques avantages financiers pour quelques cadres et leurs partis politiques, que gagnerait le peuple si ce n’est encore des pertes en vies humaines ? En réalité, il faut avoir le courage de le dire, l’enjeu de ces législatives est essentiellement financier pour l’opposition et politique pour le RHDP qui pourrait ainsi légitimer son pouvoir. Si tel était le calcul de l’opposition (se renflouer ses caisses), il lui faudrait alors abandonner son illusion de la lutte contre le troisième mandat car non seulement sa participation le légitimerait mais encore, personne n’imagine sérieusement un député se faire hara-kiri en s’engageant dans une lutte pour écourter le mandat du Président en sachant que ce fait écourterait de facto le sien. Soyons franc avec le peuple.

Pour ma part, je suis constant et cohérent car je pense que sans cohérence, sans constance, sans persévérance, sans résolutions fermes et surtout sans sacrifices, il n’y a point de grandes victoires. Je dis depuis bientôt 20 ans que sans réconciliation, toute élection déboucherait toujours sur des affrontements fratricides et des tragédies. Le 31 Aout dernier, je me suis rendu au siège de la commission électorale indépendante pour lui signifier que je ne lui déposerais pas mon dossier pourtant au grand complet pour la présidentielle parce que j’étais convaincu qu’elle conduirait la Côte d’Ivoire à une tragédie. Pour les mêmes raisons, la CEI n’ayant changé en rien fondamentalement et parce que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, je n’entends pas engager, en l’état actuel des choses, mon groupement politique, Initiatives Pour la Paix en Côte d’Ivoire et encore moins ma personne dans ces législatives précipitées.

Comment faire pour que plus jamais en côte d’ivoire, une élection ne débouche sur une guerre fratricide ? Comment faire pour qu’un individu, fut-il Président de la république, ne puisse plus disposer de pouvoir aussi exorbitant pour s’imposer au peuple ?

Voilà des questions qui me paraissent mériter le sacrifice de Toussaint Koffi N’guessan et de nos martyrs des récents évènements. Voilà ce qui devrait être, à mon sens, pour les acteurs politiques de tout bord, la priorité des priorités.

La réponse à ces questions vitales pour la république passe, je l’ai dit et redit depuis des années, je persiste et je signe, aujourd’hui plus qu’hier, par l’organisation d’assises nationales de dialogue inclusif telles que proposées par le Président Bédié le 09 décembre 2020. Tout autre option n’aura d’autre résultat que de remettre aux calendes grecques la fin de l’Etat d’exception actuelle et la restauration de l’état de droit dans notre pays.

Respectueusement,

Konan Kouadio Siméon (KKS)

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