Quand l'anodin devient une information

Lancement de la télé A+Bénin : Dr Noé K. Dotou appelle à des émissions authentiques qui révèlent réellement le Bénin au monde (Tribune)

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A l’entame, je voudrais saluer le génie créateur et la volonté patriotique du gouvernement dans son effort innovant à révéler au mieux le Bénin par la création de A+Bénin. Aussi, n’est-il pas superflu de souligner l’ouverture des acteurs de la firme médiatique Canal+ d’avoir approuvé ce projet de création d’une nouvelle chaîne télévisée moulée dans la vocation de promouvoir le sport, la culture et bien entendu la jeunesse. Au fond, l’idéologie fondatrice de ce projet répond à un postulat assez révolutionnaire qui tend à réinventer la télé au Bénin, surtout quand on s’aperçoit que les Béninois, considérés dans leur grande majorité, sont fatigués des programmes classiques, redondants voire séculaires des chaînes de télévision locales qui remplissent nos yeux au quotidien. Mais attention à ne pas se prendre au piège du plagiat dans la conception des synopsis des émissions!

D’ores et déjà, le spot qui annonce avec énergie le lancement officiel de A+Bénin sur le n° 271 des bouquets Canal+ et sur les réseaux sociaux, montre les prémices d’une télé qui risque de s’écarter de sa ligne éditoriale, celle d’être le miroir du pays. En effet, c’est inadmissible, voire inacceptable qu’une chaîne nouvellement créée naisse à partir des émissions typiquement copiées d’autres chaînes avec des dénominations qui frisent la parodie, pour ne pas parler d’une tricherie grossière. Comment peut-on nous annoncer la venue d’un nouveau média (sensé être le reflet de nous-mêmes) avec des contenus qui font directement penser à la Côte d’Ivoire ou carrément à d’autres pays loin de nous? Par exemple, les programmes annoncés tels que ”On se parle cash”, qui renvoie à ”On se dit les gbê” et ”Défends tes 50.000f” qui renvoie à ”Défends tes 50.000f” de A+ Ivoire ne sont rien d’autres que des reproductions brutes des programmes des télévisions ivoiriennes. Ce mimétisme intégral, vecteur de constipation télévisuelle, présage t-il réellement d’une télé prédisposée à valoriser la destination Bénin ?

Avec l’essor fulgurante des systèmes d’information et de communication numérique de plus en plus segmentés, l’impact des médias sur la construction identitaire devient un défi urgent auquel il faut attacher du prix. Dans ce contexte où chaque pays se préfère, vend sa pluralité identitaire, s’échine à hisser haut l’étendard de sa civilisation malgré les controverses d’une mondialisation ambiante, où l’acceptation de l’autre, de sa différence et sa culture se veulent rares, la vocation des médias doit être d’œuvrer à défendre les valeurs culturelle, sportive, sociétale, juvénile, ludique, gastronomique, ethnique de même que le modèle politico-économique au prisme du nationalisme pour construire leur pays d’émission à l’effet de l’imposer dans le concert des nations. Dans un monde en proie à une dynamique ultra concurrentielle où chaque pays se résout à porter ce qu’il vaut sur le marché de visibilité, il est intolérable dans un Bénin aussi riche en potentiel culturel et diversité patrimoniale de concevoir des offres médiatiques qui résultent d’un mode de vie exogène à l’existence des citoyens. De ce fait, dans une émission dénommée ”On se détend” qui passe présentement à la télévision nationale ORTB, figure une rubrique portant honteusement le nom ”On se dit les gbê” alors que cette expression du nouchi désigne une célèbre émission d’une télévision ivoirienne.

N’avons-nous rien à proposer ou vendre aux autres ? Voilà un acte de snobisme qui relève d’une extrême aberration mais que les services de production et les responsables administratifs de la télévision nationale laissent impunément polluer nos yeux impuissants. Face à ces dérives, il paraît important de rappeler aux acteurs des médias que le travail de production médiatique est, a priori, dans son ensemble un art intrinsèque. C’est-à-dire, une pratique qui tire fondamentalement sa source d’inspiration des manifestes de son environnement immédiat et du mode de vie de la cible à la quelle elle est destinée. Pour cela, A+Bénin doit éviter le piège du plagiat d’acculturation de sorte que le triomphe de l’audimat devienne un critère de ressourcement pour les consommateurs. Les narratifs de cette nouvelle chaîne -si elle se veut réellement émancipatrice de notre pays- ne doivent guère laisser animateurs et journalistes s’exposer à une course mortifère à l’audimat en produisant littéralement des contenus qui rendent le public béninois étranger à lui-même. En cherchant à ressembler à l’autre, c’est l’effort du gouvernement qui s’amenuise. Il n’y a aucune gloire, en vérité, pour quiconque, à occuper l’audimat à coup de déclarations sensationnelles et d’émissions transfuges.

Dr Noé K. DOTOU, Expert-Consultant en Sciences de l’Information et de la Communication

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