Quand l'anodin devient une information

De la fermeture de la station du Port pétrolier de Sèmè et de la réouverture des frontières : le décryptage de Moïse Kérékou

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Différend qui oppose le Bénin  et le Niger  : Ma contribution à la résolution de la crise.Deuxième et dernière partie : De la fermeture de la station du Port pétrolier de Sèmè et de la réouverture des frontières

D’emblée, je voudrais préciser que le but de cette réflexion n’est pas de donner raison ou tort à un État, mais de donner un point de vue objectif sur le tableau actuel. Combien est-il si difficile de gérer un État !

À problème politique, solution politique. À problème économique, solution économique.

A problème diplomatique, résolution diplomatique. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heure, le différend qui oppose le Bénin au Niger est purement et simplement un problème diplomatique, donc solution diplomatique aussi.

J’ai la chance depuis quelques années de travailler avec un consortium arabe dans l’industrie minière. En ma qualité de Consultant senior et Représentant Afrique du Groupe, je sillonne et explore les États africains à la recherche d’opportunités d’investissements dans le secteur. De ma position, je prend systématiquement part aussi chaque année au plus grand événement mondial en matière d’investissement dans le secteur minier, le Indaba Mining, qui réunit à Cape town en Afrique du Sud, tous les acteurs et opérateurs du secteur, et bien évidemment les États pourvus de mines, en quête d’investisseurs. C’est un grand rendez-vous du donner et du recevoir, et un moment exceptionnel d’échanges et de partage d’expériences de nouvelles techniques d’exploration, de nouveaux procédés d’exploitation, de nouvelles normes de régulation, etc… J’en ai donc beaucoup appris car j’ai vu, j’ai parcouru et j’ai lu une dizaine au moins de codes miniers. Les hydrocarbures, bien que n’étant pas considéré comme des minerais (roche), sont considérées dans certains pays comme faisant partie intégrante des ressources minières, puisqu’ils proviennent du sous-sol, comme les minerais ; elles vont de paires. Dans d’autres pays, les États font une nette démarcation entre les deux.

En tout état de cause, ce qui est valable pour les mines est aussi valable pour les hydrocarbures car les procédés d’exploitation sont pratiquement les mêmes, à quelques différences près, que ce soit minerais ou hydrocarbures : c’est l’extraction. Et ce n’est pas sans dommages sur les populations et l’environnement.

C’est dans le souci de protéger les populations et de préserver l’environnement qu’une gouvernance minière mondiale a vu le jour ! Elle consiste en l’adoption par les États miniers de principe de transparence et de bonnes pratiques de la gestion de leurs ressources. À côté, il y’a aussi un certain nombre de normes et standards internationaux auxquels les États sont soumis, mais basés sur le volontariat. Le processus Kimberley (SCPK) est certainement la certification et le label le plus connu, pour la commercialisation du diamant brut. La gouvernance internationale est très importante car elle vise en général la mise en place de structures et de mécanismes de surveillance et de contrôle du secteur minier pour une plus grande transparence au profit des populations et pour la préservation de l’environnement, partant des deux principes que les ressources naturelles d’un pays appartiennent aux citoyens de ce pays, et que leurs extractions causent des dommages à l’environnement et aux populations environnantes.

Prenons le cas du Niger, on peut déjà lire ceci dans son document de politique minière : les principes directeurs de la politique minière nationale (Niger) sont, l’appartenance au peuple nigérien des ressources minérales situées dans le sol et le sous-sol du Niger, le respect de l’environnement, la durabilité, la non-discrimination des investisseurs, etc… Ceci est valable aussi pour les hydrocarbures. Lorsque l’extraction des ressources est bien gérée, la richesse générée peut contribuer à la croissance de l’économie et au développement social. Cependant, si le secteur extractif souffre d’une mauvaise gestion, celui-ci peut être source de corruption, de conflits et même de guerre, comme cela est légion en Afrique. La gouvernance mondiale s’en préoccupe et impose donc des principes et des normes obligatoires à respecter par les États adhérents ou signataires.

Toutefois, il faut souligner que c’est basé sur le volontariat.

Après cette généralité, examinons maintenant d’un peu plus près notre dossier le pétrole brut du Niger et la fermeture du Port de Sèmè à la lumière de la gouvernance mondiale dans le secteur minier. Au-delà des accords économiques entre les différentes parties ici le Niger, le Bénin et la Chine, il faut tenir compte du fait que dans le cadre de la gouvernance minière mondiale, le Niger, longtemps pays producteur d’uranium, a adhéré à plusieurs cadres de référence, d’importants dispositifs normatifs, ainsi que bien d’autres standards qui imposent de facto (et non de jure) aux parties impliquées, notamment le Bénin et la Chine, le respect des dispositions. Attention donc, attention au Bénin ! On peut citer au nombre des cadres de reference, entre autres : le Pacte Mondial des Nations Unies, les Objectifs de Développement Durables (ODD), l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE, 2003), la Convention de Minamata (2013), etc… Au nombre des normes on peut citer la norme ISO 26000 sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), la norme 14001 sur la protection de l’environnement, la certification ITIE, pour ne citer que celles là. Et enfin au titre des standards, on peut retenir sur le PCQVP (Publiez Ce Que Vous Payez), le plus important à mon avis. C’est au minimum à 12 cadres de références, normes et standards que le Niger a adhéré. Ici, attention au Niger, à la junte !

Nous ne pouvons pas aborder tous les cas un à un. Prenons seulement l’exemple de l’ITIE. La gouvernance mondiale impose non seulement au Niger mais aussi aux pays parties prenantes le respect des engagements pris par le pays ressources, c’est à dire d’où la ressource est tirée. Ils sont tenus de communiquer sur les exploitations en termes de volume ainsi que les recettes engrangées afin de garantir au mieux la transparence dans la gestion du pétrole brut exploité. Bien que n’étant pas membre de l’ITIE, cette convenance interpelle le Bénin en tant que partie prenante. En effet, avec l’Accord signé avec le Niger pour le transport de son pétrole, le Bénin devient de facto, une tierce partie prenante. Sa responsabilité n’est pas des moindres puisqu’il a un œil sur la majorité du pétrole brut extrait (90.000 barils/jour à exporter), transporté et exporté via sa côte maritime. En tant donc que pays regardant, il doit pouvoir contribuer efficacement au respect du principe de transparence et de la norme évoquée plus haut ainsi qu’aux standards s’il arrivait qu’on le lui demande. Il doit aider et encourager les autres parties prenantes à jouer pleinement leur rôle en toute responsabilité et à respecter leurs signatures afin d’éviter que les organisations de la Société Civile (OSC) en premier, celles du Niger, n’en viennent à l’accabler et à l’accuser de complicité de détournement d’hydrocarbures et de faits de corruption. N’oublions pas surtout que la société civile au Niger est très active. Elle avait déjà dénoncé dans un passé récent l’opacité du contrat sur le minerai d’uranium liant le Niger à la société française Areva. C’est encore elle qui avait juste avant le dernier coup d’État de la junte militaire aussi dénoncé l’opacité dans la passation de marché d’exploitation du pétrole brut.

Venons calmement maintenant au fait principal ! Au moment où le premier chargement de pétrole brut du Niger a lieu, les frontières entre le Bénin et le Niger sont fermées, du moins du côté du Niger, et ce de façon officielle. Ce qui sous-entend qu’aucune activité commerciale, économique, d’import-export, ne peut être déclarée dans les cahiers officiels des deux pays, notamment dans les livres de la douane ; donc, pas de statistiques non plus. Par conséquent, en termes juridiques, cette opération ainsi que toutes celles qui vont suivre n’existent pas. Disons-le clairement, en d’autres mots il s’agit d’opérations clandestines, opaques ou illicites puisqu’aucune statistique, en tout cas du côté du Niger, ne peut démontrer ou justifier le volume transporté à l’international. Quant au Bénin, il ne pourrait expliquer et justifier le passage de marchandise en provenance du Niger ou en partance sur le Niger. Comment justifier alors le transit par le Bénin de cet important volume de pétrole brut en provenance du Niger alors que la frontière reste fermée. Pour mieux comprendre la situation, pensons aux camions citernes pour le transport des hydrocarbures comme l’essence et le gasoil et admettons qu’il n’y avait pas un oléoduc. Alors que la frontière est fermée du côté Niger, l’entreprise chinoise aurait-elle pu faire transiter par voie terrestre jusqu’au terminal de Sèmè ces camions ? Chacun peut répondre à cette question. Il lui aurait fallu un détour, par exemple du Niger au Bénin en passant par le Nigeria ou le Burkina. Avec cet exemple simple que tout le monde peut comprendre, il faut retenir qu’en l’état actuel de la fermeture de la frontière, aucune goutte de pétrole ne peut transiter par le Bénin depuis le Niger, encore moins échouer au Terminal pétrolier de Sèmè. À qui la faute !

Ce qui revient à dire quoi ! Exploiter le pétrole du Niger dans ces conditions de fermeture de frontière et de crise serait non seulement dommageable mais aussi préjudiciable au Bénin qui pourrait être accusé de complicité de détournement et de faits de corruption avec l’entreprise du Niger. Ce dernier aussi n’est pas à l’abri des dommages et préjudices. Non, seulement l’image de marque du nouveau label nigérien en prendrait un coup, mais l’Etat devrait en répondre devant les juridictions internationales s’il arrivait que la junte utilise la manne pétrolière à des fins personnelles, ce qui se susurre dans le milieu diplomatique, au détriment du peuple à qui appartiennent les ressources.

En conclusion, l’attitude adoptée par le Bénin au-delà des considérations géopolitiques d’ordre régionales et internationales répond parfaitement aux principes de transparence, de surveillance et de contrôle que recommandent la gouvernance minière mondiale. Le Niger ne peut pas exporter incognito son pétrole alors qu’il maintient sa frontière fermée. Des rapports et des statistiques économiques doivent être clairement établis et mis à la disposition de tous. Cela offre d’une part un avantage certain au capital notoriété du <made in Niger> ainsi qu’en la confiance du peuple en ses dirigeants, toute chose indispensable plus tard pour une entrée et une capitalisation boursière, étape incontournable dans le secteur si on veut maintenir le niveau de performance (le matériel et les infrastructures s’usent vite entraînant une diminution de la production). Ce n’est pas tout, c’est du <tout bénef> pour le Niger puisque d’autre part, la question de monétisation aussi est réglée grâce à la transparence dans la gestion des ressources financières ainsi que leurs traçabilités.

En conclusion, j’estime l’attitude du Bénin responsable, mais mal justifiée. Cette attitude est à saluer car elle est d’un avantage pour toutes les parties prenantes qui doivent dorénavant revoir et reconsidérer leurs positions. La Chine bien que n’étant pas membre de l’ITIE est obligée de produire (entreprises chinoises) des rapports sur les ressources extraites des pays où ses entreprises sont implantées. La Chine a même exprimé son soutien à l’ITIE lors de plusieurs forums internationaux, a soutenu récemment la Résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies, qui a souligné le fait que la transparence devrait être préconisée par tous les États Membres.

C’est ainsi que le Bénin devrait clarifier et expliquer sa position au Niger et à la communauté africaine qui ne comprend pas son attitude taxée à tort de belliqueuse ; et non par la coercition. En diplomatie, il existe bel et bien une stratégie de coercition qu’on appelle coercitive diplomacy (diplomatie coercitive). Elle peut donner de bons et rapides résultats, mais à condition que le rapport de force soit en faveur de celui qui l’applique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le port de Cotonou, déjà délaissé par ailleurs et les céréales du Bénin qui contribuent à la sécurité alimentaire du Niger, pays à 80% désertique, ne pèseront pas grande chose sur la balance puisqu’il y’a respectivement une autre alternative, le port de Lomé, et les nigériens, on les voit un peu partout à Cotonou, sont déjà résiliants et ont l’habitude de supporter des conditions climatiques extrêmes.

Longtemps, classés parmi les pays les plus pauvres d’Afrique, ils peuvent toujours encore attendre 1 ou 2 ans pour s’adapter complètement à la nouvelle donne. Je l’ai écrit dans la première partie, le pétrole a été découvert en 1969, mais le Niger ne s’est pas précipité à l’exploiter. Bien qu’ayant besoin sérieusement de ressources en ce moment, pour asseoir son pouvoir, la junte peut toujours patienter. Par ailleurs, tenant compte de du mode d’accès au pouvoir de l’équipe actuelle, de la profession du nouvel homme fort du Niger, de l’appartenance à une Alliance (AES, avec le Burkina et le Mali) soutenue par une puissance militaire mondiale, pas des moindres, la Russie, de la culture de résilience développée au fils du temps par les Nigériens, et last but not least, du fait que certains pays voisins, dont j’évite de citer le nom, sont aux aguets pour récupérer le transit du pétrole du Niger sur leur territoire, on peut dire que le rapport de force aujourd’hui n’est pas du tout en faveur du Bénin mais plutôt du Niger.

Maintenant, il faut cerner bien le problème et aller à l’essentiel. Pour moi, le problème n’est pas l’écoulement du pétrole, la Chine est assez puissante pour régler ce problème. Je l’ai dit en première partie la CNPC est une entité plus forte que les deux États réunis en terme de capitalisation, de chiffre d’affaires ou même de résultat net ; c’est vraiment un géant. Seule, elle peut se sortir déjà d’affaire. L’Etat chinois s’impliquerait qu’au dernier moment seulement s’il constate l’implication d’autres États puissants comme les USA et la France, si les choses prennent une autre tournure, ou une autre allure. Aussi bien le Bénin que le Niger sont redevables et bénéficient d’énormes avantages et de largesse de la Chine ; ne serait-ce qu’à travers le financement des projets d’infrastructures. Donc, c’est une petite affaire comme on le dit, une affaire de 24h, si la Chine le veut réellement. Mais, je ne crois pas qu’en l’état actuel la CNPC fasse appel à l’Etat. Pour le moment, 90.000 barils/jours, c’est une goutte d’eau (une goutte de pétrole) dans la consommation nationale de la Chine.

Le Bénin a encore plusieurs cartes à jouer amis et dispose encore de quelques leviers pour juguler la crise. N’oublions pas, au haut septentrion c’est le même peuple avec le Niger. Les acteurs politiques et opérateurs économiques se fréquentent et entretiennent de bons rapports aussi, toutes choses positives sur lesquelles on peut <surfer>. Tout dépendra du but visé par le Bénin, souhaitons-nous réellement la réouverture des frontières et le rétablissement du corridor Bénin-Niger ! Si oui, il faut d’abord et avant tout opter pour une diplomatie douce et apaisante (soft diplomacy) et ce au nom de notre principe sacro-saint de bon voisinage. La diplomatie <décomplexée> n’est pas antinomique au principe de bon voisinage qui a fait ses preuves avec les anciens régimes. Ensuite, je recommande du <step by step> diplomacy (diplomatie à petits pas) car il faut déjà s’asseoir sur une même table, avant de chercher à régler quoi que ce soit, et se parler avec le Niger, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Une fois qu’on est arrivé à mettre les deux parties à table, la négociation peut commencer. Avec le pas précipité dans l’exécution rapide de la décision de la CEDEAO, c’est petit à petit qu’on aplanit les différences et qu’on normalise les relations. Il faut du temps et, en un mot, de la patience. Il est illusoire de vouloir faire du chantage ou d’imposer au Niger l’ouverture de sa frontière alors qu’il a été menacé d’invasion il y’a quelques mois, mettons-nous à sa place. Ce n’est pas des civiles qui sont au pouvoir au Niger mais des militaires, il faut grandement en tenir compte, des militaires en état d’alerte. Et le Niger n’est pas passé par quatre chemins pour exprimer le plus clairement possible sa positon et son inquiétude de voir à ses portes une base militaire française. Il revient au Bénin de démentir ces accusations et d’autoriser la communauté régionale, dont fera partie le Niger, à mener des enquêtes sur son territoire.

Je voudrais aussi recommander du shuttle diplomacy (diplomatie de navette) en impliquant Bamako, Ouagadougou, Abuja, Lomé, Pékin, Moscou et Paris, dans la résolution de la crise, pour deux raisons principales. D’abord pour prévenir toute escalade. Il faut anticiper. Ensuite, pour rassurer les uns et les autres que la menace d’invasion évoquée par le Niger n’est plus d’actualité et ne tient pas. C’est très important.

Mais un conflit, c’est au minimum entre deux parties. Et toute résolution de conflit, implique un effort de part et d’autre, donc pas seulement du Bénin. Je voudrais demander au Niger de se baser sur notre tradition séculaire et les souvenirs de réussite commune pour assouplir sa position. Il faut lui rappeler cette tradition et ces experiences communes. Seules les montagnes ne se rencontrent point, dit-on, les hommes se rencontrent. Nous avons besoin de paix et de coopération pour construire une Afrique forte. Il sera difficile à la diplomatie béninoise en double crises de confiance et de <personnalité>, au moral bas et en perte de vitesse, d’être au devant des négociations ; pourtant elle regorge de potentiels, de talents et surtout d’expériences, il suffit juste de lui faire confiance pour en tirer le meilleur.

Il faut donc forcément un intermédiaire pour porter les messages et conduire les négociations. Il faut un médiateur expérimenté, neutre et impartial. La dernière décision de bannir les camions immatriculés au Bénin de transporter les marchandises du port de Lomé, montre à suffisance que le Niger est en train de durcir sa position et rien ne le fera reculer même pas de l’épaisseur d’un cheveux, à moins d’un changement de régime, ce qui n’est pas pour demain. Il faut voir loin, anticiper et prévenir toute escalade, ce que la Communauté internationale a manqué de faire avec l’Ukraine et la Russie. J’ai en tête un plan de sortie de crise en 7 points avant que les diplomates des deux pays ne prennent la relève et ne jouent convenablement leur rôle. Mais je préfère m’en arrêter là pour ne pas être encore plus long. J’ai foi que cet incident sera surmonté et je reste confiant en l’avenir.

Moïse Kérékou

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