Le garde des Sceaux est mis en examen pour «prise illégale d’intérêts» après avoir été interrogé plusieurs heures par les magistrats de la Cour de justice de la République, ont annoncé ses avocats.
Convoqué ce vendredi par la Cour de justice de la République, le garde des Sceaux est mis en examen pour «prise illégale d’intérêts» au terme d’un interrogatoire de plusieurs heures par les magistrats de la Cour de justice de la République (CJR) chargés d’enquêter sur de possibles conflits d’intérêts avec ses anciennes activités d’avocat. Il est suspecté d’avoir profité de son statut pour régler ses comptes avec des magistrats croisés dans plusieurs de ses dossiers d’avocat.
Quelques minutes après l’annonce par les avocats du garde des Sceaux, Jean Castex a, dans un communiqué, pris «acte» de cette mise en examen et soutenu un ministre important depuis son entrée au gouvernement en juillet 2020 : «Les actes à l’origine de cette procédure s’inscrivant donc dans le cadre normal d’exercice des prérogatives ministérielles du Garde des Sceaux, le Premier ministre lui renouvelle toute sa confiance et lui demande de poursuivre l’action de réforme et de confortement des moyens accordés au service public de la Justice.» En coulisse, un conseiller de la place Vendôme fustige le «contrôle» de l’autorité judiciaire sur une décision politique. «Dans cette affaire, il n’y a pas d’argent, on lui reproche des décisions», pointe-t-il. Et de souligner que le ministre est «serein» car «il tient sa légitimité» du Premier ministre et du Président. Dupond-Moretti s’est toujours défendu de toute prise illégale d’intérêts, martelant qu’il n’a fait que «suivre les recommandations» de son administration.
Dans la majorité, «EDM» a reçu également le soutien de plusieurs proches du président de la République, dont le député européen et conseiller politique du Président, Stéphane Séjourné.
Souvent critique des magistrats, la droite vole également au secours de l’ex-avocat. Le député Les républicains (LR), Eric Ciotti (Alpes-Maritimes) a fait part de sa «considération» envers Dupond-Moretti.
A gauche, en revanche, les sénateurs socialistes ont, dans un communiqué, «déploré le maintien» du ministre de la Justice place Vendôme. Ils l’appellent à «réagir de manière républicaine» en proposant sa démission. «Cette décision grave ne peut rester sans conséquences, soulignent-ils. Le président de la République doit prendre ses responsabilités et s’interroger sur le maintien du Garde des Sceaux dans ses fonctions. Mis en cause par les principaux acteurs de son ministère, Éric Dupond-Moretti n’est plus en mesure d’exercer ses fonctions dans de bonnes conditions.»
Information judiciaire ouverte en janvier
A son arrivée en voiture vers 9 heures, peu après ses avocats, le garde des Sceaux s’était dit «serein» devant les caméras et «particulièrement déterminé». «Le ministre de la Justice n’est pas au-dessus des lois mais il n’est pas non plus en dessous», a-t-il aussi déclaré, affichant un grand sourire.
Sa convocation lui avait été remise lors d’une rarissime perquisition de quinze heures à la chancellerie le 1er juillet.
La CJR, seule juridiction habilitée à poursuivre et juger des membres du gouvernement pour des infractions dans le cadre de leurs fonctions, a ouvert en janvier une information judiciaire pour «prise illégale d’intérêts» après les plaintes des trois syndicats de magistrats et de l’association Anticor dénonçant des situations de conflits d’intérêts dans deux dossiers.
Star des prétoires
Le premier concerne l’enquête administrative ordonnée en septembre par le garde des Sceaux contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF) qui ont fait éplucher ses relevés téléphoniques détaillés («fadettes») quand il était encore une star des prétoires.
Le PNF cherchait alors à débusquer une taupe ayant pu informer Nicolas Sarkozy et son conseil Thierry Herzog – un ami d’Eric Dupond-Moretti – qu’ils étaient sur écoute dans l’affaire de corruption dite «Bismuth», et qui a valu en mars une condamnation historique à l’ex-chef de l’Etat.
Vilipendant les «méthodes de barbouzes» du parquet anticorruption, Eric Dupond-Moretti avait déposé une plainte, avant de la retirer au soir de sa nomination comme garde des Sceaux, le 6 juillet 2020.
Dans le second dossier, il est reproché au ministre d’avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d’instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients et dont il avait critiqué les méthodes de «cow-boy» après que ce magistrat a pris la parole dans un reportage.
par LIBERATION et AFP