Pas trop connu de la jeune génération, Paul Koudoukpo reste pourtant une figure qui a marqué la lutte syndicale au Bénin. De 1982 à 1992, il a dirigé dans la clandestinité la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB). Plus de trois décennies après, le premier secrétaire général de la CSTB raconte à Kpakpatomédias comment l’appétit de la liberté a amené des travailleurs à mettre sur pied cette organisation syndicale à une période où seule l’Union nationale des syndicats des travailleurs du Bénin (UNSTB) avait droit de citée. Paul Koudoukpo revient également sur les risques pris à l’époque, les stratégies mises en place pour échapper aux griffes du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB), parti d’Etat, …
Pas trop connu de la jeune génération, Paul Koudoukpo reste pourtant une figure qui a marqué la lutte syndicale au Bénin. De 1982 à 1992, il a dirigé dans la clandestinité la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB). Plus de trois décennies après, le premier secrétaire général de la CSTB raconte à Kpakpatomédias comment l’appétit de la liberté a amené des travailleurs à mettre sur pied cette organisation syndicale à une période où seule l’Union nationale des syndicats des travailleurs du Bénin (UNSTB) avait droit de citée. Paul Koudoukpo revient également sur les risques pris à l’époque, les stratégies mises en place pour échapper aux griffes du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB), parti d’Etat, …
Manassé AGBOSSAGA
Avant 1982, l’environnement syndical au Bénin se limitait à l’Union nationale des syndicats des travailleurs du Bénin (Unstb). Seule l’UnstB tentait alors de défendre les intérêts des travailleurs sous le régime du Feu président Général Mathieu Kérékou. Mais comme pour écrire leur histoire, des travailleurs se sont levés. Main dans la main, ils ont décidé de rompre avec cette unité d’action, mais aussi et surtout avec un syndicat qui était de connivence avec le PRPB. C’est ce que précise le premier secrétaire général de la CSTB, connue à l’époque sous l’appellation de Centrale syndicale des travailleurs du Bénin. « J’ai été le Secrétaire Général de la CSTB de 1982 à 1992. Nous étions sous l’autocratie de KEREKOU 1 avec le Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB), un Parti-Etat, où les travailleurs n’étaient autorisés à militer que dans la seule et unique centrale syndicale du pays, l’UNSTB, affiliée au PRPB comme organisation de masse du Parti-Etat. Des travailleurs militants du Parti Communiste du Bénin et des démocrates, prenant conscience de la perte des droits syndicaux dans ce carcan de l’UNSTB, se donnèrent la main et dans un pacte de combat créèrent la CSTB, la Centrale Syndicale des Travailleurs du Bénin devenue aujourd’hui, Confédération Syndicale des Travailleurs du Bénin. La CSTB s’est créée dans la clandestinité et était elle-même clandestine. Nous vivions dans un contexte d’embrigadement de toutes les organisations dans le Parti-Etat.», explique avec une certaine émotion Paul Koudoukpo.
Des risques nécessaires
La CSTB créée dans la clandestinité, Paul Koudoukpo, Luc Agnankpé, Sébastien Sotindjo, Gaston Azoua, Feu Claude Cocouvi Togban, et autres, présents dans le bureau, ont dû affronter les menaces et les risques. « C’est des risques qu’on a pris. J’ai échappé à des possibilités pour le pouvoir de me prendre. Je ne peux pas les citer. Je n’ai pas été dans un centre de concentration, mais j’ai dû rester dans la clandestinité », confie-t-il. A la question de savoir s’il avait un secret ou un gris-gris qui lui permettait de ne pas tomber dans les nasses des hommes du « Feu dictateur Kérékou » », devenu démocrate après la conférence des forces vives de la Nation, Paul Koudoukpo répond par la négation et nous offre une anecdote : « Je ne peux pas dire que j’avais un secret. Je me souviens qu’un jour j’étais avec quelqu’un tôt le matin devant aller d’une planque à une autre. On est tombé dans une barrière. Mais tout gentiment celui qui me conduisait à demander si c’est la taxe unique qu’il cherche ou les pantâtes. On était décontracté. Ils ont répondu : « non passez mes chefs ». On est parti. On n’avait rien de particulier. Mais ce qui était propre à nous, on était décontracté. Il n’y avait pas à se faire peur, ou du moins à croire qu’on me connaissait. C’est comme ça que nous avons vécu avec foi en l’avenir ». rappelle Paul Koudoukpo.
Toutefois si lui réussissait à échapper à la vigilance des hommes de l’ancien président de la République, ce n’était pas le cas de certains de ses camarades. « En 1986, la répression était dirigée contre les travailleurs. Beaucoup de travailleurs membres des organisations de base de la CSTB ont été réprimés et sauvagement torturés dans les camps soro péra, Ségbana. Des travailleurs ont été dans ces centres de concentration. Les travailleurs qui étaient arrêtés, étaient soupçonnés d’appartenir à la CSTB», confie Paul Koudoukpo. Mais porté par le rêve d’un peuple libre, le secrétaire général de la CSTB et ses compères ne se sont pas laissé intimider par ces arrestations. Avec foi et stratégie, ils ont mené la lutte pour la conquête des libertés.
Fruit du combat
« Pendant ce temps, j’étais tous les soirs dans la rue à travailler avec les militants », indique le premier patron de la CSTB. Cet acharnement, cette envie de réussir va enfin produire ses effets. Après plusieurs années de persévérances, le succès est au rendez-vous et la Cstb sort de sa clandestinité. Paul koudoukpo peut désormais sortir de sa cachette et poser sa signature sur les communiqués de la CSTB. « Des victoires nous en avons connues. Mais je ne veux pas me mettre à citer toutes les victoires. Je vais m’atteler à une des plus grandes victoires que nous avons connues à savoir la conquête du droit à s’organiser et à parler. A la naissance de la CSTB toute contestation de l’autocratie était attribuée aux étudiants anarcho-gauchistes. A partir de 1985, avec les mouvements en milieu travailleur, la répression était dirigée contre les travailleurs qui étaient soupçonnés d’appartenir au Parti Communiste du Bénin (PCB). Ce grand pas est la reconnaissance de l’existence de cette organisation politique par le pouvoir de Kérékou. Et du coup, c’est la reconnaissance de la CSTB comme une organisation syndicale en face de l’UNSTB en milieu travailleur. Prenant en compte cette évolution, le bureau de la CSTB a décidé que les publications de l’organisation soient désormais signées par le Secrétaire général. Et ce fut fait, préparant ainsi la légalisation de la CSTB et de ses dirigeants. Les militants de la CSTB ont animé avec fougue et détermination les Comités d’Action (CA) qui ont été à l’avant-garde des luttes qui ont culminé au 11 décembre 1989 avec la fin de l’autocratie de Kérékou. A notre sortie des planques, en 1990, la CSTB était de fait légalisée. Donc, ouvertement le pouvoir savait que la CSTB était dirigée par moi », raconte t-il d’un air heureux.
Des attentes
Mais comme après plusieurs années de sacrifice, Paul Koudoukpo devait jouir d’un repos mérité, il passa le témoin à l’un de ses compagnons de lutte. C’est ainsi qu’en 1992, à la faveur du premier congrès de la CSTB, Gaston Azoua est élu à la tête de l’organisation et succède ainsi à Paul Koudoukpo. A l’heure de passer le témoin, avait-il des déceptions sur des choses qu’il aurait pu mieux faire ou qu’il n’a pas fait, Paul Koudoukpo répond par la négation et préfère parler d’attente. Depuis son départ de la CSTB, l’homme dit continuer d’attendre la prise du pouvoir d’Etat par les travailleurs. « Déceptions ! Non ! Mais des attentes toujours. J’attends que par leurs luttes, les travailleurs et le peuple finissent par instaurer leur pouvoir, le pouvoir des travailleurs et des peuples pour que démarre la construction de notre pays pour mettre fin à l’impunité, au pillage, au chômage, à l’analphabétisme », fait savoir l’ancien Proviseur du Lycée Béhanzin. Et s’il dit reconnaître cette prise de conscience par les travailleurs, Paul Koudoukpo déplore toutefois le syndicalisme tel que pratiqué par la jeune génération aujourd’hui. « Le syndicalisme militant et le syndicalisme de participation sont les deux courants. Ma conviction est qu’en mon temps le premier courant (le syndicalisme militant) était majoritaire tandis qu’aujourd’hui, c’est le second courant (le syndicalisme de participation) qui domine. Ce courant se traduisait hier par l’inféodation des syndicats au Parti-Etat pour de postes ministériels ou de directions contre les intérêts de travailleurs. Aujourd’hui c’est l’affairisme des responsables syndicaux avec le pouvoir en place au détriment de la défense des intérêts des travailleurs », déplore l’ancien secrétaire général de la CSTB. Et là-dessus, malgré la confiance placée en Kassa Mampo, Paul koudoukpo tient à lui rappeler qu’il ne doit pas s’écarter de la ligne syndicale révolutionnaire de la CSTB. « Qu’il (Kassa Mampo) garde toujours haut l’étendard à lui confié dans la ligne syndicale rappelée au dernier congrès de la CSTB, dans la défense des travailleurs afin que ceux-ci vendent mieux leur force de travail en attendant un gouvernement acquis aux intérêts des travailleurs et des peuples du Bénin », martèle-t-il.
Poursuite du combat depuis son départ de la CSTB
Paul Koudoukpo n’a pas pris ses distances de la CSTB. Sans être membre du bureau, il continue de fréquenter les locaux de la CSTB et d’apporter son expertise aux uns et aux autres. « Avec la CSTB, j’ai gardé de rapports militants. Je suis consulté et je donne mes conseils et avis de manière militante, c’est-à-dire sans marchander. J’aide à avancer. Pour ceux qui fréquentent les bureaux de la CSTB, ils peuvent vous dire que je suis fréquent », rassure Paul Koudoukpo. Mieux depuis la fin de sa carrière d’enseignant, l’homme s’est engagé pour la défense des droits des élèves, étudiants et de leurs parents, mais aussi et surtout pour l’enseignement des langues maternelles. L’ancien professeur de sciences physiques du Lycée Béhanzin a, à cet effet, mis sur pied en 2003 l’Union Nationale des Associations des parents d’élèves et d’étudiants du Bénin (Unapeb).
A 72 ans, ce n’est donc pas le poids de l’âge qui arrêtera ce vaillant ouvrier.