Quand l'anodin devient une information

A la rencontre de deux Evêques béninois : une histoire sur la vérité (Tribune)

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L’impudique a divorcé avec la vérité. Il choisit de dédier toutes ses stratégies et tactiques à la manipulation et à l’espièglerie pour arriver à ses fins.

Qui aime la vérité est l’ennemi de tous les menteurs, les manipulateurs et les faux silencieux ou les hypocrites.

La vérité est dans la nature humaine ce que l’oxygène représente pour la respiration. Et sans elle, l’homme s’éteint faute de souffle vital.

La vérité est la première nourriture de la vie de celui qui est admis dans un bloc opératoire. La vérité dérange par sa vocation de blesser et de soigner à la fois surtout les plaies puantes. C’est le douloureux diagnostic médical que le patient a peur d’affronter car elle est la seule évidence qui dérange sévèrement son esprit, peu importe qu’elle soit dite avec diplomatie ou sans détour.

Lorsque j’ai rencontré Monseigneur Sastre en 1991 dans un “tête à tête” sur les questions de développement au titre d’un programme de lutte contre la pauvreté dans le Mono ancien, il m’a fléché sans ménagement parce qu’il vit le quotidien des pauvres dans les villages. Il était à la limite révolté du gaspillage de la bureaucratie de l’Administration publique avec les ballets de véhicules 4×4 sans impact des projets qu’elle gère sur la vie quotidienne des populations de Lalo, de Toviklin, de Dogbo, de Lokossa, de Bopa, de Comé, de Grand-Popo… Il dénonce les cimetières de projets de développement et de leurs effets de pailles.

Ces projets n’avaient de projet de changement de conditions humaines qu’un effet éphémère alors que les paysans s’échinent sous le soleil, la pluie et dans la boue à produire sans la récompense du fruit de leur travail. Les périodes d’abondance des récoltes sont les pires moments de pertes post-récoltes faute d’unités de transformation et de dispositifs de conservation.

Les fruits et légumes qui pourrissent heurtent l’Evêque de Lokossa qui étaient à la limite de sévères remontrances et j’étais un encaisseur poli parce que l’Evêque avait raison d’être en colère lorsque je me souviens moi-même du travail que j’ai fait sur les relevés des décisions du conseil des ministres de janvier 1980 à mai 1984. Me parlant de notre cité des “amiwo-clubs”, ma conscience empathique se fortifiait de chacune de mes analyses. Je passais mon temps à poser des questions et noter des réponses démonstratives, peut-être cette attitude de garçon éveillé m’a motivé à garder le crachoir pour dire ce qu’il a sur le cœur. Je ne regrette pas d’avoir fait profil bas pour monter sur les épaules du vieil homme pétri de vécus.

La pire des hypocrisies, c’est le mode de vie de celui qui a pris l’habitude d’enfouir ses sentiments. Je sais que Monseigneur lisait à travers mes questions et mon regard, le style d’un homme direct peu habitué aux flatteries langagières.

Quand ça fait trop mal, il faut nommer le mal et c’est le début de la guérison.

Malade des injustices sociales, Monseigneur dénonce aussi les longues périodes de soudure alimentaire qui relayent les moments de gaspillages. Il s’énerve contre la différence faite entre les cultures de coton et de palmier à huile considérées comme des produits de rente et la négligence des cultures vivrières et la pêche qui sont négligées. Il vient ainsi de flécher le fait colonial et l’impuissance de l’élite à diversifier les chaînes de valeurs.

Monseigneur Sastre dénonce la paupérisation des paysans pour l’enrichissement des commerçants véreux et des cadres corrompus de l’administration agricole et des bureaucraties centrales.

Monseigneur Sastre a mis à nu l’escroquerie de nos modèles technologiques, économiques et sociaux héritées de la colonisation qui épuisent les sols, les eaux et les paysans sans un souci croissant d’amélioration des conditions de vie de ses paysans.

C’est par ses dénonciations du comportement des élites que j’ai compris l’importance de la souveraineté alimentaire et du sens réel de ce que devrait être le développement rural intégré.

Selon lui, ce type de développement a pour but la sécurité humaine et pas que pour le monde rural mais aussi pour le milieu urbain pour ne pas le condamner à vivre des importations de nourritures. Il aura fallu attendre 1994 pour que le rapport sur le développement humain du PNUD élabore une réflexion sur cette sécurité holistique. Monseigneur Sastre est un éminent intellectuel, rigoureux et sans rigolade quand il s’agit des questions de changement social.

Ce nom évoque un praticien de la doctrine sociale de l’église grâce à qui j’ai appris davantage sur le Nexus Foi – Politiques publiques – Développement. C’est par lui que j’ai su qu’un tel document existe pour encadrer le devoir de servir et l’obligation de respecter de la dignité humaine en toute circonstance.

Cet Evêque de terrain qui vit le quotidien des populations m’a tellement secoué dans tous les sens, que six années après notre rencontre, j’ai préparé et soutenu une thèse de doctorat de géographie sur l’efficacité de l’aide au développement du secteur rural ancrée dans un raisonnement d’anthropologie économique pour davantage comprendre les causes d’échec des politiques publiques du monde rural et des déterminants du maintien des ménages paysans dans le dénuement.

Et deux années avant cette soutenance de thèse, j’ai fait mes adieux à la fonction publique béninoise pour mettre mes convictions et mon parcours professionnels au service du militantisme paysan à travers la Fédération des Unions de Producteurs du Bénin (FUPRO-Bénin) et le Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA). Ce sont les deux effets directs que les propos de Monseigneur Sastre ont eu sur mon mental. Si j’avais pris sa vérité crue délivrée sans détour et sans ménagement pour une offense indélébile à ma petite personne, je me serais égaré dans un complexe d’idiot et j’aurais raté ma vraie mission sur terre. La rancune radicalise et égare, elle est inutile parce que c’est du poison.

La tolérance illumine et fait prendre du recul, l’effort de comprendre l’autre rehausse l’intelligence partagée et l’interaction positive sont utiles pour admettre la vérité non plus comme une insulte humiliante mais comme une délivrance des antagonismes violents et un salut de rassemblement. Pour ainsi dire, la vérité ne peut pas être un crime de lèse-majesté et tout chef qui refuse d’entendre le vrai sera alimenté de faussetés jusqu’à ce qu’il découvre un jour que ce qui le gonfle comme une turgescence n’est rien d’autre que des toxines.

N’eût été cette onde de retour comme le phénomène d’upwelling en océanographie, je n’aurais certainement pas bénéficié de deux bourses d’excellence de la Banque mondiale et du gouvernement français dans l’espace de trois ans et demi. L’orgueilleux est cet idiot malhonnête qui ne sait pas que la vérité élève l’homme et purifie son état d’esprit.
Merci Monseigneur Robert Sastre de m’avoir ouvert les yeux pour découvrir ce qui sommeillait en moi comme valeur. Ma rencontre avec cet Evêque fut un pèlerinage à bien des égards. J’ai compris après cette imprégnation un grand soulagement et j’ai compris relativement mieux qui suis-je, pourquoi j’agis d’une certaine manière qui dérange et surtout, pourquoi les gens malveillants évitent de m’introduire dans leurs cercles des secrets?

Ils se reconnaîtront ceux-là en découvrant ce témoignage sur ma rencontre avec Monseigneur Sastre en 1991. S’il ne m’a pas pulvérisé de vérités crues, on me compterait aujourd’hui peut-être parmi les vagabonds chasseurs d’actes gratifiants qui courent après les honneurs de posture et les rentes de corruption. J’en suis définitivement vacciné contre ce virus de l’immoralité et de la médiocrité. Je suis juste un peu mieux qu’un pauvre, mais un gros travailleur reconnu parfois par mes détracteurs et digne de ne pas tomber dans les excavations de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Je ne suis pas un religieux mais je nourris mon état d’esprit de compassion et d’un seuil élevé de discipline afin de m’éloigner de la vanité. La compassion est un pouvoir, le pardon est une grandeur d’esprit, la vanité est une impuissance et l’orgueil est une faiblesse qui prépare sa chute. A la fin de la conversation, Monseigneur Sastre a découvert qu’il avait en face de lui un homme sensible mais aussi un militant de la justice sociale. Ce qui l’a rassuré.

Un Evêque peut en cacher un autre. Je suis un laïc libre d’esprit et libre de pensée. C’est mon plus grand péché que j’ai souvent assumé, chaque fois que j’évoque Dieu dans mes intentions, mes paroles et mes actes.

J’ai eu dans le cadre de mes activités professionnelles le privilège de rencontrer un certain nombre de fois Monseigneur Lucien Monsi Agboka, Archevêque d’Abomey. Les deux Evêques sont issus d’une civilisation d’eau à la seule différence que Monseigneur Sastre incarne l’Océan Atlantique, Monseigneur Lucien Monsi Agboka, la lagune côtière. Il y a forcément un hydrotropisme culturel qui a joué entre les deux personnalités et moi; l’on peut deviner aisément la symbolique que véhicule mon patronyme qui a été à la base de mes travaux de recherche en DEA sur les forêts de palétuvier de la lagune côtière.

La manière de dire la vérité dépend du tempérament de chacun. Mais elle doit être dite sinon, les populations risquent de prendre l’habitude de copier et de reproduire les mensonges des élites qui tordent le cou à la vérité comme une sagesse pour sauvegarder des intérêts claniques. La vérité est toujours piégée et il en sera toujours ainsi jusqu’à la fin des temps.

La migration de la société civile vers la société politique ou qu’un politicien porte les deux casquettes, cette tricherie datait d’avant 1990 et s’est renforcée dans les années 90 avant de subir une mue merdique dans les années 2000 à 2020.

Le goût du pouvoir et ses délices tentantes ont favorisé le nomadisme de certains acteurs de la société civile vers la société politique. Alors qu’on prenait certains leaders de la cette société civile pour de vrais démocrates et ardents défenseurs des droits humains, une fois en politique, on découvre qu’ils ne sont plus les mêmes idéologiquement et fonctionnellement. Ils sont méconnaissables et ce difficile lien qu’on peinait à nouer entre la société politique et la société civile a été rompu parce qu’ils sont dépositaires de toutes les stratégies et tactiques qu’utilisaient les ONG, les syndicats et associations identitaires…

Les partis politiques ont désormais une arme puissante pour atomiser et anéantir tout ce qu’il y de société civile avec sa vivacité combattante. Elle ne peut plus rien revendiquer et on peut anticiper et mater tout contestation populaire y compris dans le sang. Ils sont devenus plus politiciens radicaux que les politiciens modérés qu’étaient leurs Aînés.

Ce que nous constatons de plus en plus Bénin, c’est la haine, le guet-apens et la vengeance qui sont les armes du parfait politicien béninois de l’époque actuelle. Et il le fait sans scrupule en bombant le torse pour montrer que les rapports de force sont à son profit, que c’est lui qui est là jusqu’à nouvel ordre et que seule sa volonté prédomine.

N’avons-nous rien pu faire pour faire de la société civile un contrepoids de la société politique après la conférence nationale de février 1990?

Entre juillet et août 1991, j’étais mobilisé par le PNUD comme consultant d’appui au titre du projet BEN/87/001 basé à Lomé avec pour mandat de préparer et d’organiser un débat national sur la société civile mobilisant des ONG et associations assimilées au Bénin.

Le but de ce projet de renforcement de la société civile était de faire d’elle une véritable force de co-construction du développement post conférence nationale afin de consolider le processus démocratique au Bénin. Il fallait bien cette interaction société politique et société civile pour régénérer l’animation de la vie politique car la société civile a son rôle à jouer en matière d’éducation à la citoyenneté et de promotion de la bonne gouvernance.

On ne saurait faire le bilan politique, institutionnel, économique et social des acquis de la conférence nationale de février 1990 sans faire référence au premier forum sous l’ère du renouveau démocratique de l’avènement de la FENONG.

Je me souviens encore du passionnant débat entre le bureau du CONGAB et moi, concernant l’incompatibilité de la fonction politique de secrétaire général de la Renaissance du Bénin avec celle de président d’une faîtière d’organisation de la société civile. J’avais abordé la question sous l’angle de l’éthique. C’est un sujet fâcheux et difficile à aborder mais il fallait oser percer l’abcès.

A l’époque, on pouvait dialoguer encore même si ce n’est pas sans risque mais aujourd’hui, chacun parle et se parle sans dialoguer avec l’autre. Il y a plus d’animosité et d’animalité en 2024 qu’en 1991. Je tiens à rendre un hommage de gratitude à monsieur Nathanaël Bah pour avoir opté volontairement de quitter le CONGAB pour s’occuper de la RB.

Dans ces travaux préparatoires incluant le sondage sur quelques personnes charismatiques pouvant rassembler et fédérer la société civile, j’avais pensé à Monseigneur Agboka.

Lors d’une rencontre avec le vieux prêtre, nous avions découvert son cœur d’homme empathique et ses responsabilités sociétales à la tête de la CARITAS au niveau national.

Il fallait l’avis de sa hiérarchie avant sa participation à un forum sur la société civile et toute responsabilité qui en découlerait.

Au bout d’un mois et à l’occasion d’une seconde séance de travail, Monseigneur Agboka a formellement accepté de participer et d’être un accompagnateur de ce renouveau de la société civile au Bénin en prolongement des acquis de la conférence nationale président par l’Archevêque de Cotonou, Monseigneur Isidore de Souza.

L’information est restée entre lui et moi, même le PNUD n’était pas au courant des détails de nos échanges.

A cette rencontre en août 1991, Monseigneur Agboka fut élu président par choix démocratique du forum et reconduit comme premier président de la FENONG-Bénin avec pour mandat le renforcement de la collaboration entre le gouvernement et les mouvements associatifs. Docteur Jean-Baptiste Elias fut le premier vice-président. Dans notre esprit et selon l’entendement du PNUD au Bénin, la FENONG-Bénin faisait partie des acquis de la conférence nationale de février 1990.

Pourtant, peu de gens font référence à ce forum de 1991 qui a vu naître une force sociale pour le combat citoyen. Il ne fait aucun doute que notre statut de délégué à la conférence nationale avait influencé le choix porté sur Monseigneur Agboka. Il était néanmoins la bonne personne de l’Église catholique pouvant conduire les travaux de la renaissance de ce mouvement citoyen, il présidait les œuvres caritatives et est connu pour son calme majestueux.

L’homme vrai est celui qui pue pour le menteur impudique. Le mensonge c’est de l’injustice cautionnée par ceux à qui profite un rapport de force.

Dites la vérité pour blesser et servez du mensonge pour sauvez des vies si les circonstances vous l’exigent face aux imposteurs chevronnés qui font du mensonge une profession de foi dont ils ne peuvent pas s’en séparer.

Il fallait ce témoignage pour compléter les acquis de la conférence nationale qui sont en voie de démolissement.

Aucune valeur humaine ne supplante la vérité, et personne ne dit toutes les vérités qui jalonnent sa vie. Le mot secret a été inventé pour mettre un déguisement à la vérité et un maquillage au mensonge. Entre la vérité et le mensonge, un seul mot les relie, c’est la manipulation. Néanmoins, le désir d’être vrai avec soi-même est le point de départ de notre ouverture à la vérité. Être vrai ce n’est pas forcément avoir raison,  mais accepter de confronter sa part de vérité à celle des autres. Quand c’est le fort qui veut imposer sa vérité à tous les autres, ce type de vérité est inepte et prend l’étoffe d’un mensonge.

Simon-Narcisse TOMETY

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